Publiée le 21 novembre 2024, la recommandation 2024-R-02 de l’ACPR introduit de nouvelles bonnes pratiques pour le devoir de conseil en assurance. Elle vise à accompagner les distributeurs dans la mise en œuvre de la loi Industrie Verte, intégrer les préférences en matière de durabilité des clients, et tirer parti des enseignements des contrôles réalisés. Elle remplace la recommandation 2013-R-01 du 8 janvier 2013, modifiée le 21 février 2020, à compter du 31 décembre 2025. Chronique juridique de Valentine Baudouin, Partner Compliance & Regulatory au sein de Regvantage.
Une recommandation qui s’inscrit dans un cadre renouvelé depuis la loi Industrie verte
Si la loi Industrie Verte vise à flécher une quote-part des gestions pilotées de certains PER et contrats d’assurance-vie vers des actifs non cotés, cette dernière a également renforcé le devoir de conseil des professionnels de l’assurance afin de le rendre effectif tout au long de la vie du contrat. Consacré par le III de l’article L. 522-5 du code des assurances, le nouveau texte distingue dorénavant trois situations spécifiques. Tout d’abord, il impose de renouveler les obligations d’information et de conseil applicables avant la conclusion du contrat dans deux cas : lorsque l’intermédiaire ou l’entreprise d’assurance est informé d’un changement dans la situation personnelle ou financière du souscripteur, ou dans ses objectifs d’investissement (1°), et lors de toute opération susceptible d’avoir un impact significatif sur le contrat (3°). Ensuite, il traite du cas où le contrat n’a donné lieu à aucune opération pendant une certaine période, ou uniquement à des opérations programmées (2°).
Deux Arrêtés du 12 juin 2024 sont venus préciser cette avancée significative dans l’encadrement du devoir de conseil pour les contrats de capitalisation et certains contrats d’assurance vie. Le premier arrêté indique, s’agissant du renouvellement périodique du devoir de conseil, que ce dernier doit intervenir tous les quatre ans en l’absence d’opérations ou si seules des opérations programmées ont été réalisées, et tous les deux ans lorsque le souscripteur bénéficie d’une recommandation personnalisée. En cas de refus ou d’absence de réponse du souscripteur à une demande d’actualisation, la périodicité redémarre à compter de ce refus ou après une relance. Par ailleurs, ledit arrêté a précisé les seuils définissant les « opérations significatives » qui nécessitent un réexamen du contrat, distinguant notamment les montants selon l’encours du contrat (par exemple, des versements d’au moins 2 500 € et représentant 20 % de l’encours pour les contrats de moins de 100 000 €).
Un second arrêté est quant à lui venu fixer à quatre ans (deux ans en cas de recommandation personnalisée) la périodicité de la vérification de l’adéquation du profil d’allocation dans le cadre des mandats d’arbitrage pour les contrats d’assurance vie et de capitalisation.
Pour finaliser ce cadre, la recommandation 2024-R-02 s’inscrit dans la continuité de ces textes.
La recommandation s’applique à l’ensemble des distributeurs opérant en France, y compris ceux en libre prestation de services (LPS) ou en libre établissement. Elle couvre tous les produits d’assurance, qu’ils soient individuels ou de groupe, à l’exception :
- des grands risques définis par l’article L.111-6 du Code des assurances ;
- des contrats collectifs à adhésion obligatoire souscrits par les employeurs pour leurs salariés ;
- des produits d’assurance-vie et de capitalisation sans possibilité de versement ou d’arbitrage (elle vise en revanche particulièrement les contrats d’assurance vie et de capitalisation susceptibles de modifications)
Ce périmètre élargi vise à uniformiser les pratiques tout en s’adaptant à la complexité et aux spécificités des différents produits d’assurance
Prévue pour s’échelonner entre 2025 et 2028, la mise en œuvre de ces mesures laisse le temps aux distributeurs de se préparer, tout en fixant des attentes claires et ambitieuses.
Le recueil des informations : un préalable essentiel
Avant toute souscription ou adhésion, les distributeurs seront tenus de collecter des informations détaillées sur leurs clients. Cette étape constitue la base sur laquelle reposera l’ensemble des recommandations.
Des données précises et structurées
La recommandation exige que les distributeurs obtiennent des informations sur :
- La situation familiale : identité, régime matrimonial, personnes à charge,
- La situation financière : revenus, dépenses, patrimoine, capacité d’épargne,
- La situation professionnelle : emploi actuel, date prévisionnelle de départ à la retraite.
Ces données doivent permettre une compréhension globale de la situation du souscripteur ou de l’adhérent. En outre, les distributeurs doivent s’assurer de la cohérence des informations recueillies, par exemple en identifiant d’éventuelles contradictions entre les réponses fournies.
Un accent sur les connaissances financières
Les distributeurs doivent également évaluer les connaissances et l’expérience financières du client, notamment sa capacité à comprendre les risques liés aux produits proposés. Cela inclut des questions spécifiques sur ses investissements passés, ses réactions face aux gains ou pertes, et sa tolérance au risque.
Intégration des préférences ESG
La durabilité est également prise en compte. Les distributeurs doivent interroger leurs clients sur leurs préférences en matière environnementale, sociale et de gouvernance (ESG). Ces critères deviennent une partie intégrante de l’évaluation des besoins du client.
Le devoir de conseil : avant la souscription, pendant la durée du contrat et en cas d’opérations significatives
Une fois les informations collectées, le devoir de conseil impose une analyse approfondie des données pour formuler des recommandations adaptées. Il ne s’agit pas simplement de proposer un produit, mais d’expliquer les choix effectués, en tenant compte des risques, des frais, des garanties et des restrictions. Les distributeurs doivent s’assurer que leurs conseils sont clairs, compréhensibles et pertinents pour le client. Cela inclut des exemples chiffrés ou des simulations pour illustrer les impacts financiers potentiels des décisions proposées.
La recommandation 2024-R-02 établit également des bonnes pratiques concernant le devoir de conseil au-delà de la souscription initiale.
Par exemple, en cas d’événements significatifs, comme un arbitrage, un rachat ou un changement d’orientation d’investissement, les distributeurs devront fournir des explications détaillées sur les conséquences de ces choix. Cela peut inclure des impacts fiscaux, des variations de garanties ou des risques financiers. Ces échanges doivent permettre aux clients de prendre des décisions éclairées, en pleine connaissance des avantages et des inconvénients de chaque option.
Les produits spécifiques, comme les unités de compte ou les Plans d’Épargne Retraite (PER), font l’objet de recommandations particulières. Pour les unités de compte, les distributeurs doivent alerter les clients sur les risques liés à la variabilité de leur valeur et les informer des éventuelles conséquences d’un rachat anticipé. Quant aux PER, les conseillers sont tenus de détailler les options de sortie (rente ou capital) et leurs implications fiscales, ainsi que les conditions de disponibilité des fonds.
Formation et outils : les moyens d’une application rigoureuse
La mise en œuvre de ces exigences repose sur des moyens humains et technologiques adaptés. L’ACPR insiste sur l’importance de la formation continue des conseillers pour garantir qu’ils possèdent les compétences nécessaires à l’utilisation des outils et à la compréhension des produits. La traçabilité des données constitue également un pilier central de cette recommandation. Les informations recueillies et les recommandations formulées doivent être documentées, conservées et accessibles tout au long de la durée du contrat, dans le respect des normes de protection des données personnelles.
La digitalisation des processus est encouragée pour faciliter la gestion des informations et accélérer les échanges. Les outils numériques, comme les plateformes de collecte automatisée ou les simulateurs d’arbitrage, permettent de répondre rapidement aux demandes des clients tout en respectant les exigences réglementaires
Pour les distributeurs, la mise en application de ces bonnes pratiques représente un défi opérationnel important : adapter leurs processus, former leurs équipes, et garantir une conformité dans le temps. Mais elle constitue aussi une opportunité d’instaurer une confiance nécessaire à la démocratisation des actifs non cotés.
En replaçant le devoir de conseil au cœur de la relation client, l’ACPR offre une vision d’avenir pour le secteur de l’assurance, où transparence, personnalisation et durabilité deviennent les piliers d’une relation durable et équilibrée entre les assureurs et leurs clients.