Chronique juridique de Muriel Goldberg-Darmon, docteur en Droit, avocate associée du cabinet Cohen & Gresser, et de Guillaume Guérin et Pierre Wolman, avocats du cabinet Cohen & Gresser.
Pour se financer, certains émetteurs recourent à des opérations consistant en des augmentations de capital libérées en plusieurs fois et étalées dans le temps, réalisées au profit d’investisseurs financiers qui ont vocation à céder très rapidement leurs titres. Cette pratique, qui conduit le plus souvent à une dilution significative des actionnaires existants et à une forte pression baissière sur le cours, vient d’être encadrée par l’Autorité des marchés financiers (AMF).
Ces dernières années, l’AMF a constaté une augmentation sensible des réclamations émanant de particuliers ayant perdu tout ou partie de leurs investissements dans des sociétés cotées ayant eu recours à des opérations de financement dilutives. Un rapport de l’AMF d’octobre 2022 mettait ainsi en lumière que, sur un échantillon de 69 sociétés cotées, 83% d’entre elles avaient vu leur cours de bourse évoluer à la baisse avec un recul moyen de 72%.
Face à un tel constat, l’AMF a décidé, le 14 février 2023, de renforcer sa doctrine par la mise à jour de sa position-recommandation DOC 2020-06. Cette position-recommandation impose désormais aux émetteurs de nouvelles obligations d’informations en cas de réalisation d’opérations de financement dilutives réalisées au profit d’investisseurs financiers.
1-Le champ d’application de la nouvelle position-recommandation de l’AMF
Les opérations visées
Les opérations de financement dilutives visées par la position-recommandation de l’AMF sont celles consistant en des augmentations de capital par émission de titres de capital ou de titres donnant accès au capital réalisées en plusieurs fois et de manière échelonnée dans le temps. Le champ d’application de la nouvelle doctrine de l’AMF est donc très large et peut inclure de nombreuses opérations.
En pratique, il s’agit notamment des equity lines ou PACEO (programmes d’augmentation de capital par exercice d’options) réalisées par l’émission de bons, d’actions, de titres donnant accès au capital tels que les OCABSA (obligations convertibles en actions avec bons de souscription d’actions), ORNANE BSA (obligations remboursables en numéraire et en actions nouvelles et existantes avec bons de souscription d’actions), OCEANE BSA (obligations convertibles ou échangeables en actions nouvelles et existantes avec bons de souscription d’actions) ou encore ORA BSA (obligations remboursables en actions avec bons de souscription d’actions).
Les investisseurs concernés
Ces opérations dilutives sont réservées à des investisseurs financiers (ou « intermédiaires »), qui se distinguent des actionnaires traditionnels. Le rôle des intermédiaires est de permettre à l’émetteur d’assurer une levée de fonds rapide. Ils n’ont néanmoins pas vocation à rester durablement actionnaire et à participer au développement de la société. Leur objectif est, en réalité, de revendre à très bref délai sur le marché les actions issues de la conversion ou de l’exercice des titres.
Dans ce type d’opérations, les actionnaires traditionnels supportent donc, in fine, les risques. Ils subissent en effet une dilution importante et la forte pression baissière sur le cours de bourse. Afin de protéger ces investisseurs et d’assurer une bonne information du marché sur ces opérations dilutives, l’AMF a précisé dans sa position-recommandation ses attentes en matière de communication.
2-Les nouvelles obligations d’information pesant sur les sociétés cotées en matière d’opérations de financement dilutives
La publication d’un communiqué lors de la conclusion d’une opération
Lorsqu’un émetteur conclut une opération de financement dilutive avec un intermédiaire, l’AMF recommande désormais la publication par l’émetteur d’un communiqué afin d’informer le marché de la conclusion de l’opération et de ses principales caractéristiques, ainsi que des objectifs poursuivis au regard de sa situation financière récente.
Le communiqué doit notamment inclure les raisons et le montant maximum de l’émission, les modalités de détermination du prix d’émission, les modalités et la volumétrie des tirages, le pourcentage du capital susceptible d’être émis, la dilution maximum engendrée par ces tirages, ou encore les incidences pour les actionnaires existants.
La publication d’un avertissement lors de la conclusion de l’opération
L’AMF invite également les sociétés cotées à faire figurer en en-tête de la première page de leur communiqué un avertissement sur les risques significatifs encourus par les investisseurs.
L’avertissement devra préciser que les actionnaires sont susceptibles d’être très fortement dilués, qu’ils peuvent subir une perte de leur capital investi, ou encore que la cession à bref délai des actions acquises par l’investisseur financier peut créer une forte pression baissière sur le cours.
L’objectif de l’AMF avec la publication de telles informations est de faire en sorte que les investisseurs soient informés des conséquences négatives de la mise en œuvre des opérations de financement dilutives. A cet égard, l’AMF propose un modèle type de communiqué et d’avertissement.
En outre, il convient de souligner qu’à défaut de publication par l’émetteur du communiqué, de l’avertissement ou de certaines informations figurant dans ces documents, l’AMF se réserve le droit de publier elle-même un communiqué nominatif relatif aux risques attachés aux opérations de financement envisagées. Une telle possibilité est pour le moins atypique et démontre l’importance attachée par l’AMF à cette position-recommandation. Rappelons à cet égard que l’AMF avait déjà, dès juillet 2020, alerté les actionnaires sur les risques associés à de telles opérations.
En tout état de cause, compte tenu de l’intérêt croissant de l’AMF pour ce sujet, il est probable que l’information publiée par les émetteurs sera examinée avec attention par le régulateur. A défaut de respecter leurs obligations, les émetteurs s’exposeront, à l’issue d’une enquête, à une procédure de sanction de l’AMF.