Vers une nouvelle forme de coopération en matière d’abus de marché ?

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Chronique juridique de Muriel Goldberg-Darmon, docteur en Droit, avocate associée du cabinet Cohen & Gresser, Guillaume Guérin et Pierre Wolman, avocats du cabinet Cohen & Gresser

Ces derniers mois, le législateur a affiché son intention, à travers deux réformes, de renforcer les dispositifs de dénonciation et d’autodénonciation en matière d’abus de marché.

Par la loi n°2025-532 du 13 juin 2025, il a étendu le régime du repentir aux délits d’abus de marché poursuivis par le Parquet national financier (PNF). Par ailleurs, des députés ont déposé le 16 septembre 2025 une proposition de loi visant à instaurer un mécanisme de clémence devant l’Autorité des marchés financiers (AMF). A ce stade, la proposition de loi est toujours en discussion au Parlement.

Avec ces deux réformes, les aveux et les dénonciations qui se révélaient jusqu’à présent exceptionnels en matière d’enquête pour abus de marché, pourraient alors se multiplier.

Le repentir pénal étendu aux abus de marché poursuivis par le PNF

En vigueur depuis 2014, le dispositif du repenti prévu à l’article 132-78 du Code pénal ne s’appliquait pas aux délits d’abus de marché. Rappelons que le « repenti » est une personne qui accepte de coopérer avec les autorités de poursuite, soit pour empêcher la réalisation d'une infraction, soit pour identifier des auteurs ou des complices. En contrepartie, cette personne peut obtenir une réduction ou une exemption de peine.

La loi du 13 juin 2025 a étendu ce mécanisme aux abus de marché poursuivis par le PNF, en l’insérant à l’article L. 465-3-7 du Code monétaire et financier.

En substance, l’article L. 465-3-7 du Code monétaire et financier prévoit que :

  • lorsque la personne a tenté de commettre un abus de marché, elle sera exempte de peine si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, elle a permis d’éviter la réalisation de l’abus de marché ;
  • lorsque la personne a effectivement commis un abus de marché, elle pourra voir sa peine réduite de deux tiers si, ayant averti l’autorité administrative ou judiciaire, elle a permis :
  • de faire cesser l’abus de marché ;
  • d'éviter que l’abus de marché ne produise un dommage ; ou
  • d’identifier d’autres auteurs ou complices.

Afin d’encadrer l’usage des déclarations des repentis, le code pénal dispose expressément qu’aucune condamnation ne pourra être prononcée sur le seul fondement d’une dénonciation d’un repenti. D’autres éléments de preuve devront être rapportés par le PNF qui pourra s’appuyer, le cas échéant, sur la méthode du faisceau d’indices.

Relevons néanmoins qu’en pratique, l’utilisation du dispositif de repentir en matière d’abus de marché reste incertaine, compte tenu de son faible usage depuis son instauration en droit pénal. En effet, « en un peu plus d’une décennie, le statut du repenti n’a été attribué qu’à 18 repentis »[1].

La proposition d’un dispositif de clémence pour les abus de marché devant l’AMF

Afin de favoriser la coopération des auteurs ou complices d’abus de marché, le législateur entend également introduire un dispositif dit de « clémence » devant l’AMF. Ce mécanisme est similaire dans son principe et son objectif à celui utilisé depuis de nombreuses années en droit de la concurrence pour lutter contre les ententes.

L’exposé des motifs de la récente proposition de loi n°1818 du 16 septembre 2025 indique ainsi vouloir « inciter des auteurs ou complices de manquements et/ou délits financiers à coopérer avec l’AMF en contrepartie d’une exemption ou d’une réduction de sanction par sa commission des sanctions »[2]. Rappelons que la coopération dans le cadre d’une enquête de l’AMF est d’ores et déjà une circonstance pouvant être prise en compte pour la détermination du montant de la sanction[3], sans autre précision sur ses modalités d’application.

En substance, l’article 7 de la proposition de loi prévoit que l’exemption ou la réduction sera proposée lorsque l’auteur ou le complice de l’abus de marché apporte des éléments d’information dont l’AMF ne disposait pas antérieurement et qui contribuent à identifier des personnes impliquées ou à établir la réalité de manquements susceptibles d’être sanctionnés.

Le texte précise, par ailleurs, que la réduction accordée par la Commission des sanctions de l’AMF sera proportionnelle à la contribution effectivement apportée par la personne à l’établissement des manquements. 

A ce stade, la proposition de loi ne précise ni les montants de réduction ni les critères pris en compte pour bénéficier de la clémence. Il est indispensable que ces éléments soient clairement définis, comme devant l’Autorité de la concurrence ou en matière de Convention Judiciaire d’Intérêt Public (CJIP), pour permettre aux personnes concernées de déterminer si elles souhaitent recourir à ce dispositif. 

Des mécanismes dont l’articulation reste incertaine

Ces deux mécanismes d’(auto)dénonciation – repentir au pénal et clémence devant l’AMF – soulèvent beaucoup de questions pratiques notamment concernant leur articulation qui reste à définir.

On peut par exemple s’interroger sur l’intérêt qu’aurait un coauteur ou un complice d’un abus de marché à se dénoncer au pénal, s’il ne peut bénéficier du nouveau régime du repentir en cas de renvoi devant la Commission des sanctions de l’AMF à la suite d’un aiguillage du dossier au profit de l’AMF. Il en sera de même en matière de clémence en cas d’enquête par l’AMF.

En toute hypothèse, quels que soient les contours précis que prendront ces dispositifs, les personnes mises en cause devront prendre pleinement en considération ces nouveaux mécanismes dans leur stratégie de défense.

[1] Publication du 19 mai 2025 au Club des Juristes : « Loi sur le narcotrafic : l’évolution du statut de repenti » par Catherine Ménabé.

[2] Extrait de l’exposé des motifs de la proposition de loi n°1818.

[3] Article L. 621-15, III quater du code monétaire et financier : « Dans la mise en œuvre des sanctions […] il est tenu compte notamment : […] du degré de coopération avec l’Autorité des marchés financiers dont a fait preuve la personne en cause, sans préjudice de la nécessité de veiller à la restitution de l’avantage retiré par cette personne ».

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