L’investissement immobilier sous forme royalties

  • Publication publiée :31 janvier 2023
  • Post category:Avis d'expert
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Philippe Gianviti, avocat à la Cour (NMW)

Dans cette chronique juridique, Philippe Gianviti, avocat au barreau de Paris (NMW), décrypte le contenu des deux communiqués de l’Autorité des marchés financiers en date du 23 décembre 2022 invitant les opérateurs de plateformes de partage de revenus immobiliers à modifier leurs pratiques et à obtenir les agréments réglementaires requis.  

De nouveaux acteurs sont apparus il y a quelques mois dans le paysage de l’investissement de masse et alternatif français : les plateformes de partage de revenus immobiliers.

Il s’agit d’entreprises proposant à des investisseurs, via des sites internet, de percevoir des revenus en contrepartie d’un apport souvent minime, de l’ordre de la dizaine d’euros, affecté au financement de l’acquisition de biens immobiliers. Les revenus versés sont calculés au prorata de l’apport, sur la base du chiffre d’affaires généré par la location des biens immobiliers financés et l’éventuelle plus-value de cession de ceux-ci. Les souscriptions et les engagements pris sont contractualisés au moyen d’une documentation identique et propre à l’opération proposée.

L’offre des plateformes de partage de revenus immobiliers est souvent présentée comme étant à mi-chemin entre les parts de sociétés civiles de placement immobilier et organismes de placement collectif immobilier (SCPI/OPCI) et les financements participatifs (crowdfunding) immobiliers.

L’anglicisme royalties associé à l’adjectif immobilier a même été parfois utilisé pour désigner l’opération juridique qu’elles structurent et proposent mais il est doublement inexact. Le terme ne recouvre qu’une partie de l’opération : le revenu ou la redevance versée au souscripteur. Par ailleurs, en droit anglais, les royalties désignent une rémunération versée à une personne ayant participé à la création d’une œuvre, généralement le propriétaire d’un droit intellectuel, et non pas la rémunération d’un bailleur ou apporteur de fonds.

Pendant de longs mois, l’Autorité des marché financiers (AMF) a conservé le silence face au développement de ces plateformes et au succès qu’elles remportent auprès d’un public plutôt jeune en quête de produits innovants et performants ; un silence qui a pu être interprété par certains comme une tolérance, voire une indifférence. On a pu ainsi lire ou entendre que l’investissement immobilier sous forme de royalties ne dépendrait pas de la « juridiction » (sic) de l’AMF ou que les contrats proposés par les plateformes de partage de revenus immobiliers ne seraient « soumis à aucune réglementation financière » (sic).

Le 23 décembre 2022, l’AMF est enfin sortie de sa discrète et momentanée retraite pour rappeler quelques évidences au travers de deux communiqués : une mise en garde générale à l’attention du public et une note à destination des opérateurs des plateformes précisant les qualifications juridiques et exigences réglementaires applicables à leurs activités.

L’AMF a tout d’abord réaffirmé sa pleine compétence pour requalifier des situations juridiques et exiger le respect de la réglementation applicable lorsque celle-ci entre dans le cadre de ses missions qui comprennent la protection de l’épargne publique conformément à l’article L. 621-1 du Code monétaire et financier.

Elle a ensuite constaté que les contrats souscrits via ces plateformes avaient une dimension éminemment financière.

Ils régissent les conditions de levées de fonds. Les droits consentis aux investisseurs sont identiques et représentent une créance sur une personne morale, le plus souvent une société de capitaux (SAS, SA…), avec par ailleurs la mise en avant une perspective de liquidité (le rachat du contrat) organisé le plus souvent par la plateforme.

Pour ces raisons, l’AMF a qualifié les droits résultant des contrats souscrits, de titres financiers et même de titres de créance visés à l’article L. 211-1 du Code monétaire et financier. Elle y voit des valeurs mobilières représentatives d’un droit de créance (Article L. 228-36-A du code de commerce).

L’AMF peut parfois faire preuve d’une certaine modération en employant le conditionnel et en réservant sa position à « l’interprétation souveraine des tribunaux ». Dans les deux communiqués du 23 décembre 2022, elle ne s’encombre pas d’une telle délicatesse, démonstration qu’elle n’exprime aucun doute sur la qualification juridique retenue.

Pire, elle manifeste une forme de virulence, considérant que certains acteurs auraient employé des « qualifications juridiques erronées » et des « modalités contractuelles artificielles, ne correspondant pas à la réalité économique ». Les usages immodérés de néologismes et d’anglicismes - en particulier celui de royalties – ainsi que des discours commerciaux peu en phase avec la réalité juridique ont fini par agacer le gendarme des marchés financiers qui n’y a vu qu’un artifice en vue de tromper son jugement mais aussi celui des épargnants. Dans sa note réglementaire destinée aux professionnels, ce terme de royalties est d’ailleurs complétement banni.

Après avoir requalifié les opérations de ces nouveaux acteurs, l’AMF décrit les grands principes de la réglementation applicable à ces nouveaux produits financiers.

S’agissant d’une offre d’instruments financiers à grande échelle via des sites internet, la réglementation relative aux offres au public de titres financiers a pleinement vocation à s’appliquer (remise d’un prospectus visé par l’AMF ou, en dessous de certains seuils, d’un dossier d’information synthétique déposé auprès de l’AMF).

De même, seuls les intermédiaires ayant reçu un agrément de prestataire de services en financement participatif ou de prestataire de services d’investissement sont habilités à proposer des titres financiers pour le compte d’un émetteur. Pour pouvoir continuer à exercer leurs activités, les plateformes de partage de revenus immobiliers devront donc solliciter l’obtention de l’un ou l’autre des deux agréments, ou travailler avec un prestataire disposant de tels agréments.

L’AMF a toutefois émis une réserve quant à « d’autres réglementations » susceptibles de s’appliquer, en visant nommément celle relative aux fonds d’investissement alternatifs (FIA) issue de la directive européenne 2011/61. Elle considère qu’il s’agit là du principal risque de glissement d’une catégorie réglementaire à une autre. Les plateformes de partage de revenus immobiliers ne pourront pas gérer et proposer, sans avoir le statut de société de gestion de portefeuille, des produits qui s’apparenteraient d’un peu trop près aux parts de FIA tels que des SCPI et OPCI.

Les contrats proposés par les plateformes de partage de revenus immobiliers ressemblent également à s’y méprendre, à un dérivé ou à un contrat d’échange financier (swap) mais à la lumière des informations dont elle disposait, l’AMF a probablement estimé que les activités des nouveaux acteurs différaient sensiblement des entreprises d’investissement qui structurent, proposent et négocient des instruments financiers à terme souvent déconnecté d’une opération concrète.

Enfin, l’AMF a également souligné quelques insuffisances et manquements auxquels les plateformes de partage de revenus immobiliers devront remédier.

Leurs opérateurs devront se conformer aux articles L. 616-1 et suivants du Code de la consommation, lesquels prévoient l’obligation de mettre en place un traitement des réclamations ou d’accès à une médiation professionnelle (en l’occurrence celle de l’AMF), et s’assurer de la qualité l’information fournie aux investisseurs. En effet, le discours tenu par les plateformes de partage de revenus immobiliers s’est parfois caractérisé par une forme d’ambiguïté et des rendements affichés en décalage avec la réalité. Certains contrats ne sont pas toujours très clairs.

Le ton de l’AMF dans ses deux communiqués du 23 décembre 2022 est résolument ferme et accusateur mais elle ne condamne pas l’existence du produit proposé par les plateformes de partage de revenus immobiliers. Elle n’a d’ailleurs pas agité l’épouvantail des poursuites et des sanctions à ce stade du dossier. Elle reste une administration soucieuse de concilier innovation, émulation et protection de l’épargne publique. En revanche, l’AMF exige une mise en conformité immédiate de leurs activités avec quelques règles édictées en vue de protéger les investisseurs et le bon fonctionnement des marchés.Texte du paragraphe développant une idée en cohérence avec le titre du paragraphe.

Retrouvez les communiqués de l'AMF

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