Agence de notation et conflit d’intérêts : une mise en conformité nécessaire

You are currently viewing Agence de notation et conflit d’intérêts : une mise en conformité nécessaire

Les agences de notation, arbitres de la solvabilité des acteurs économiques, sont au cœur d’un système financier globalisé dès lors que, vendre des évaluations de crédit influence considérablement le coût d’emprunt et les choix d’investissement. Depuis la crise de 2008, un cadre réglementaire renforcé impose des obligations notamment liées à la gestion des conflits d’intérêts. Chronique juridique de Julie Guénand, avocate en défense pénale et éthique des affaires.

Qu’est-ce qu’une agence de notation ?

L’agence de notation est une entreprise qui vend un service d’évaluation de la solvabilité des émetteurs, qu’il s’agisse d’entreprises, d’institutions financières et dorganisations publiques. Ces notes sont utilisées par les investisseurs pour évaluer le risque de crédit associé à l’achat d’une dette particulière, ce qui influence le taux d’intérêt et la capacité d’emprunt.

Les notes de crédit vont de AAA, pour les émetteurs de dette de la plus haute qualité, indiquant un risque de défaut de paiement extrêmement faible, à D indiquant que l’emprunteur est déjà en défaut sur ses obligations. Les notes intermédiaires fournissent une gradation du risque perçu permettant un choix éclairé sur le niveau de risque accepté.

Les agences de notation jouent un rôle crucial en ce que leurs notations influencent le coût d’emprunt pour les émetteurs et la décision d’investissement pour les prêteurs et investisseurs. Une bonne notation peut permettre à un émetteur d’attirer des investisseurs plus facilement à un coût inférieur.

L’activité des agences de notation entraîne en conséquence des critiques quant à leur indépendance, notamment depuis la crise de 2008, portant sur un fort risque de conflits d’intérêts, voire de corruption ou autres atteintes à la probité, car ces agences sont souvent payées par les émetteurs eux-mêmes pour évaluer de manière objective leur solvabilité.

Les conflits d’intérêts liés au principe de « l’émetteur-payeur »

Alors que depuis la création des agences de notation, les investisseurs payaient pour avoir la notation d’une société dans laquelle il souhaitait investir, après 1970, le modèle économique a changé et les émetteurs se sont mis à payer pour se faire noter et attirer les investisseurs, c’est donc le principe de « l’émetteur-payeur ».

En raison de la transformation du marché et de l’augmentation de la demande en matière de notation, les agences de notation sont devenues des quasi-régulateurs, maîtrisant l’avenir des émetteurs.

Cela permet de mettre en évidence plusieurs types de conflits d’intérêts avec les émetteurs, qu’il s’agisse de sociétés, d’États et directement de produits financiers.

Quel est le cadre réglementaire ?

En 2003, l’Organisation internationale des autorités de régulation des marchés financiers (OICV) avait rédigé un code de conduite auquel les agences de notation se soumettaient sur une base volontaire. Depuis la crise de 2008, un nouveau cadre réglementaire permet réguler l’activité des agences.

Au niveau européen, le règlement CRA sur les agences avait pour objectif de conduire une surveillance des agences de notation, qui doivent désormais être enregistrées. L’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF ou Esma en anglais), créée par le Règlement du 24 novembre 2010, est chargée de la surveillance des agences en Europe.

Parmi les obligations des agences figurent l’interdiction de fournir des services de conseils, notamment de recommandations sur la conception d’un instrument financier, et l’obligation de rendre publics les modèles, les méthodes et les principales hypothèses sur lesquels la notation est fondée. Ces obligations reprennent pour partie les bonnes pratiques issues de la charte de l’OICV, devenues à présent contraignantes.

Pour éviter tout conflit d’intérêts :

Les investisseurs ont l’interdiction de détenir 5 % ou plus du capital ou des droits de vote de plus d’une agence de notation, à moins que les agences concernées n’appartiennent au même groupe. Cela permet d’éviter qu’un même investisseur puisse contrôler le marché et avoir une incidence sur les notes émises.

Les agences de notation doivent divulguer les situations dans lesquelles un actionnaire détient à la fois 5 % ou plus du capital ou des droits de vote et 5 % ou plus d’une organisation notée par ses soins. Si ces participations atteignent ou dépassent toutes les deux 10 %, l’agence de notation n’a pas le droit de noter l’entité. Il en va de même si l’agence elle-même détient 10 % ou plus du capital de l’émetteur.

Les agences de notation doivent établir des politiques et procédures internes appropriées concernant les employés et autres personnes impliquées dans le processus de notation avec pour objectif de prévenir, identifier, éliminer ou gérer et divulguer tout conflit d’intérêts. Ces politiques et procédures doivent inclure les mécanismes de contrôle interne et la fonction conformité.

Quelles sanctions ?

L’Esma peut prononcer une série d’amendes en fonction du type d’infraction, de la taille de l’agence de notation et des circonstances aggravantes ou atténuantes.

En 2015, l’Esma infligeait sa première sanction, à savoir une amende de 30.000 euros, à l’encontre de l’agence de notation DBRS en raison de défaillances dans son contrôle interne et de défaillance de la fonction conformité. Depuis, plusieurs agences de notation ont également été sanctionnées par l’ESMA, notamment :

L’agence Fitch qui a été sanctionnée d’une amende de 5,13 millions d'euros en 2019 en raison d’un conflit d’intérêts lié à la détention, par l’un de ses actionnaires, de plus de 10 % du capital ou des droits de vote dans des sociétés qu’elle notait.

L’agence Moody's qui a été sanctionnée d’une amende de 3,7 millions d'euros en 2021 pour des manquements aux règles concernant la prévention des conflits d’intérêts, spécifiquement la détention par l’un de ses actionnaires, de plus de 10 % du capital ou des droits de vote dans des sociétés qu’elle notait, des politiques et procédures internes inadéquates, etc.

L’agence Scope Ratings qui a été sanctionnée d’une amende de 2,197 millions d'euros en 2024 pour des manquements aux règles concernant la prévention des conflits d’intérêts, spécifiquement concernant des défaillances structurelles dans l’identification, la prévention et la gestion des conflits d’intérêts, des lacunes concernant les politiques et procédures et les mécanismes de contrôles internes.

La procédure de conflit d’intérêts

Pour assurer l'intégrité et la fiabilité de ses évaluations, une agence de notation doit élaborer une procédure détaillée sur les conflits d'intérêts. Cette procédure évoque la définition de ce que constitue un conflit d'intérêts, en identifiant les situations dans lesquelles les intérêts personnels ou financiers des employés, des analystes ou des actionnaires pourraient influencer, ou sembler influencer, l'impartialité de la notation. Elle doit ensuite établir des mécanismes de déclaration où chaque employé concerné est tenu de dévoiler tout potentiel conflit d'intérêts, qu'il soit direct ou indirect.

La procédure doit également préciser les étapes à suivre pour évaluer et gérer les conflits déclarés, incluant l'assignation des évaluations à des analystes sans liens d'intérêts avec l'émetteur et la mise en place de barrières informationnelles au sein de l'agence. La transparence est cruciale, ce pourquoi les politiques et les décisions prises pour résoudre un conflit d'intérêts doivent être documentées et, si nécessaire, communiquées aux parties prenantes concernées.

Enfin, la procédure doit inclure des formations régulières pour les employés sur les principes d'intégrité et les risques liés aux conflits d'intérêts, ainsi que des contrôles internes et/ou des audits externes fréquents pour vérifier l'application effective de la procédure. L'objectif est de créer une culture organisationnelle où l'éthique et la transparence sont au premier plan, garantissant ainsi la crédibilité et la fiabilité des notations émises.

Partager cet article