L’Agence Française Anticorruption accompagne les entreprises, qui doivent répondre aux obligations de reporting extra-financier de la CSRD notamment en matière de lutte anticorruption, mais qui ne sont pas assujetties à la loi Sapin II, dans la mise en place volontaire d’un programme de lutte contre la corruption, présentant des bénéfices en interne et en externe. Chronique juridique de Julie Guénand, avocate au sein du cabinet Veil Jourde.
À partir de 2025, des milliers d’entreprises françaises seront progressivement soumises à des obligations de reporting extra-financier prévues par la directive européenne Corporate Sustainability Reporting Directive (CSRD).
Cette directive du 14 décembre 2022, entrée en vigueur le 1er janvier 2024 et transposée en droit français par l’ordonnance du 6 décembre 2023 et le décret du 30 décembre 2023, impose à certaines entreprises, parallèlement au reporting des données financières, de produire un rapport de durabilité plus complet intégré aux rapports de gestion annuels, couvrant un certain nombre d’informations non financières.
Les entreprises doivent y aborder l’ensemble des dimensions liées au développement durable, à savoir les dimensions environnementales, sociales et de gouvernance de l’entreprise (ESG). Ainsi, les entreprises assujetties devront publier un certain nombre d’indicateurs, notamment en matière de gouvernance, couvrant par exemple la lutte contre la corruption. Autrement dit, elles sont tenues de rendre compte de leur programme de conformité anticorruption.
Quelles nouveautés ?
La directive Non Financial Reporting Directive, dite NFRD, du 22 octobre 2014, ancêtre de la CSRD, comportait déjà plusieurs références à la lutte contre la corruption.
Elle rappelait que : « afin de renforcer la cohérence et la comparabilité des informations non financières publiées dans l’ensemble de l’Union, certaines grandes entreprises devraient établir une déclaration non financière comprenant des informations relatives au moins aux questions d’environnement, aux questions sociales et de personnel, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption. »
Sans surprise, la CSRD, qui la remplace, a repris le principe en le modernisant davantage par l’élargissement du champ d’assujettissement du rapport de durabilité et en précisant les règles de reporting extra-financier applicables.
En effet, la CSRD élargit considérablement le périmètre des sociétés concernées par cette obligation. Elle concerne les sociétés répondant à deux des critères suivants : 250 salariés, un chiffre d’affaires de 50 millions d’euros et un bilan de 25 millions d’euros. Sont également soumises les PME cotées en bourse.
Si l’application de cette directive est progressive, elle concernera dès le début des sociétés non soumises à la loi Sapin II, laquelle a pour objectif la mise en place d’un dispositif de lutte contre la corruption. En effet, l’article 17 de la loi Sapin II concerne des sociétés et groupes employant plus de 500 salariés et dont le chiffre d’affaires est supérieur à 100 millions d’euros. La CSRD concernera donc près de 6 000 entreprises françaises, contre 1500 pour la loi Sapin II.
Ainsi, les entreprises, non assujetties à l’obligation de concevoir un tel dispositif en vertu de la loi Sapin II, et qui n’auraient pas volontairement développé des mesures de prévention et de détection de la corruption, peuvent se trouver en difficulté dans le cadre de leur obligation de reporting extra-financier.
Les recommandations de l’AFA
Afin d’éviter une telle situation, l’Agence française Anticorruption publiait le 16 octobre 2024 une présentation intitulée « Mettre en œuvre les indicateurs anticorruptions de la Directive CSRD » pour accompagner les entreprises dans le déploiement progressif d’un dispositif de conformité adapté.
De manière très pédagogique, l’AFA commence par développer les nouvelles obligations imposées par la CSRD, son champ d’application élargi et son objectif d’inscription dans le plan d’action européen pour financer une croissance durable. Dans la deuxième partie de la présentation intitulée « Faciliter le reporting anticorruption en créant un dispositif de conformité », l’AFA rappelle les dispositions de la loi Sapin II.
Elle énumère les mesures que l’instance dirigeante doit mettre en place pour créer un tel dispositif. Cela regroupe notamment :
- La cartographie des risques de corruption et de trafic d’influence pour connaître ses risques de corruption et définir les mesures efficaces visant à éviter leur réalisation ;
- La mise en place d’un code de conduite pour permettre aux personnels d’adopter le bon comportement afin de protéger l’entreprise de situations néfastes ;
- La mise en place d’un dispositif d’alerte anticorruption afin de recueillir et traiter les signalements de comportements contraires au code de conduite qui pourraient être révélateurs de faits de corruption ;
- La mise en place de contrôles comptables anticorruption afin de s’assurer que les livres, registres et comptes ne sont pas utilisés pour masquer des faits de corruption ou de trafic d’influence ;
Les conséquences internes
L’AFA vante explicitement la prise en compte de ces recommandations, qui peut être particulièrement bénéfique en interne pour ces entreprises assujetties à la CSRD et non à la loi Sapin II.
La mise en place d’un tel dispositif permettrait d’abord aux entreprises de se protéger efficacement contre les risques de corruption, auxquelles toutes les entreprises sont exposées, peu importe leur taille et de se prémunir des conséquences réputationnelles, juridiques ou financières liées à la réalisation de ces risques.
De plus, se prévaloir d’un dispositif de conformité robuste est un rempart efficace en cas de poursuites judiciaires. Une entreprise, dotée de mesures de lutte contre la corruption, qu’elle soit reconnue coupable ou victime d’une infraction de corruption ou de trafic d’influence, pourrait faire valoir l’effectivité de son programme devant les autorités judiciaires. Cette prise en compte du dispositif peut se traduire par des sanctions plus clémentes ou des indemnisations plus élevées, en comparaison avec une entreprise sans dispositif de conformité.
Les entreprises qui mettraient en place un programme de conformité anticorruption anticipent également l’assujettissement potentiel à de nouvelles règlementations liées à la croissance de l’entreprise, susceptible de la conduire à dépasser les seuils, salarial et de chiffre d’affaires, fixés par l’article 17 de la loi Sapin II.
Les conséquences externes
L’Agence Française Anticorruption, par ces recommandations, vante également cette démarche comme porteuse de nombreux bénéfices au niveau externe.
La mise en place d’un dispositif anticorruption peut avoir un impact réputationnel majeur, permettant à l’instance dirigeante de s’inscrire dans une démarche d’amélioration éthique continue. Elle serait perçue sur les différents marchés commerciaux et financiers comme une entreprise prévenante et peu risquée. Cette image d’une activité sereine et non frauduleuse ou sujette à des risques de corruption non identifiés ou prévenus aura un impact financier positif.
Cet impact réputationnel peut d’ailleurs avoir des conséquences sur les marchés financiers et notamment dans l’accès par ces entreprises à des financements nécessaires pour leurs activités économiques. L’existence de procédures volontaires de lutte anticorruption au sein d’une entreprise est gage de fiabilité et de sécurité pour les banques et investisseurs.
En effet, les investisseurs ont dorénavant la possibilité de consulter le rapport de durabilité de l’entreprise et de connaître et analyser toutes ses informations et performances extra financières, ce qui leur donne des armes, pour évaluer pleinement les risques non-financiers qui pourraient affecter la valeur de leurs investissements. Ainsi les entreprises qui montrent un fort engagement contre la corruption seront privilégiées par les investisseurs comme des investissements plus sûrs.
Ainsi, la mise en place de tel dispositif par les entreprises est encouragée dans la mesure où il viendrait renforcer la confiance des investisseurs.
L’incitation de l’AFA à une soumission volontaire aux normes de lutte anticorruption
Avec pour objectif « affiché » d’aider les petites et moyennes entreprises non-assujetties à la loi Sapin II à se préparer au reporting extra-financier, l’AFA a endossé un rôle, « plus secondaire », d’incitation des entreprises non assujetties à la loi Sapin II à se conformer volontairement aux dispositifs anticorruption.
Elle rappelle d’ailleurs régulièrement [1] les avantages que peuvent trouver de telles entreprises en se dotant de programmes de conformité, mais tire davantage profit de cette nouvelle règlementation, pour continuer à inciter ces acteurs économiques.
Malgré cette incitation, les entreprises assujetties à la CSRD et non à la loi Sapin II ne sont pas contraintes au strict respect de la loi Sapin II des lors que les risques de corruption sont pris en compte. Les recommandations de l’AFA constituent uniquement un support d’informations et une aide à l’appréhension d’un dispositif anticorruption. Elles ne disposent d’aucune force obligatoire et servent uniquement à guider les entreprises non assujetties à la loi Sapin II qui souhaiteraient volontairement s’y conformer. L’AFA n’a pas pour l’heure le rôle de contrôler les entreprises non assujetties à la loi, mais assujetties à la directive CSRD.
Malgré cet effort d’incitation de l’AFA auquel on ne peut que souscrire, l’intégration de ces multiples normes demeure une charge non négligeable pour les acteurs économiques. Il reste ainsi à voir si cette incitation à la soumission volontaire portera ses fruits en pratique.
[1] Comme dans son guide pratique anticorruption à destination des PME et des petites ETI