Le nantissement de crypto-actifs consacré dans le Code monétaire et financier

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Chronique juridique de Sébastien Praicheux, docteur en droit, avocat au barreau de Paris, associé (Norton Rose Fulbright LLP) et maître de conférences associés à l’Université Patis II Panthéon-Assas ; et Célestine Barthout, avocat au barreau de Paris, Norton Rose Fulbright LLP et chargée d’enseignement.

L’utilisation des crypto-actifs à titre de garantie n’est pas une nouveauté. Déjà en 2023, nous nous interrogions dans notre chronique[1] sur le cadre juridique qui pouvait s’appliquer à cette pratique largement développée, et nous concluions que si le cadre existant pouvait trouver à s’appliquer, les parties devraient adapter contractuellement ces dispositions aux spécificités de ces instruments. Au printemps 2025, la loi DDADUE 5[2] a introduit des dispositions[3] encadrant le nantissement de crypto-actifs[4], à l’image des dispositions existantes encadrant le nantissement de compte-titres.

Cadre avantageux et innovant

Notons d’emblée que si ces nouvelles dispositions ont été introduites par une loi visant à adapter le droit français au droit de l’Union européenne (et notamment en l’occurrence, au règlement MiCA[5]), le droit des sûretés n’est pas harmonisé au niveau européen. Les dispositions relatives au nantissement des crypto-actifs sont donc purement nationales, et ne trouvent leur place dans ce texte législatif que parce que le règlement MiCA invitait « à s’interroger sur les aspects de droit privé des crypto-actifs, et spécialement leurs aspects patrimoniaux »[6].

Or, comme nous l’avions constaté dans notre chronique et comme l’avait souligné le HCJP dans son rapport précité, il existait un besoin de la pratique de sécuriser juridiquement la constitution de garanties sur crypto-actifs. Il s’agit là, à n’en pas douter, d’un cadre avantageux et innovant dont la France se dote, s’inscrivant dans une volonté nationale de développement des crypto-actifs et de la Fintech, dont témoignait déjà l’adoption d’un régime français en la matière via la loi « PACTE ». Relevons que la complexité technique et opérationnelle des registres distribués peut constituer, au sein de l’Union européenne, un frein à l’édiction d’un cadre spécifique.

Le HCJP avait proposé l’introduction d’un article organisant le nantissement d’actifs numériques, à l’image des dispositions relatives au nantissement de comptes-titres ; le texte entré en vigueur en mai est très proche de cette proposition.

Des nuances existent

De manière générale, les utilisateurs du nantissement de compte-titres ne seront pas égarés : le nouveau régime du nantissement de crypto-actifs y emprunte beaucoup. Par exemple, les règles de constitution des deux types de nantissement sont les mêmes, à savoir, par la déclaration signée par le titulaire du compte-titres / le propriétaire des actifs numériques. Si le formalisme de cette déclaration doit encore être précisé par un décret attendu pour le mois d’octobre, l’on peut s’attendre à ce qu’il soit proche du formalisme exigé en matière de titres.

Des nuances existent néanmoins, en raison de la spécificité de l’actif nanti. Les crypto-actifs pouvant ne pas être émis par une entité juridique déterminée, la constitution du nantissement de tels actifs n’est pas opposable « à l’égard de la personne morale émettrice » comme le sont les nantissements de compte-titres, mais seulement « à l’égard des tiers ». L’on peut dès lors s’interroger sur l’opposabilité du nantissement à l’égard des émetteurs de crypto-actifs lorsqu’il en existe. En effet, si l’on a pris la peine de les mentionner en matière de comptes-titres, c’est probablement qu’ils ne sont pas considérés comme des « tiers », ou à tout le moins qu’un doute existait. Les travaux du HCJP tranchent néanmoins cette question : « lorsqu’un émetteur existe, la notion de tiers (à l'acte de nantissement) l’inclut nécessairement ». Dans certaines circonstances, la question de la nécessité d’une notification additionnelle pourra se poser.

Smart contract

Pareillement, la déclaration de nantissement de crypto-actifs aura la spécificité de pouvoir être signée au moyen d'un automate exécuteur de clauses – en d’autres termes, d’un smart contract – pourvu qu’il respecte les exigences de droit commun relatives à la validité du contrat (art. 1174 du Code civil). Cette question demeure plus que jamais d’actualité, au moment où la mise en place d’un cadre règlementaire de certification de ces automates est prônée, compte tenu des avantages mais également des risques induits par cette technologie (code erroné, etc.). L’application du dispositif européen de résilience opérationnelle numérique du secteur financier (DORA[7]) en particulier, permet de cantonner certains de ces risques.

Le nouveau nantissement porte par ailleurs sur les actifs eux-mêmes, et non pas sur le compte sur lequel ils seraient inscrits – ici encore en raison du fonctionnement spécifique de ces actifs où l’inscription au sein d’un registre distribué ne saurait être considéré comme l’équivalent d’un compte. Pour autant, les règles applicables sont les mêmes dans les deux régimes en cas d’ajout d’actifs à l’assiette du nantissement par voie de déclaration complémentaire : bien que les crypto-actifs soient nantis de façon individuelle, ceux qui complèteraient le nantissement en garantie de la créance initiale sont soumis aux mêmes conditions que ceux mentionnés dans la déclaration initiale, et sont considérés comme ayant été remis à la date de la déclaration initiale du nantissement. Ces dispositions permettent donc de faire évoluer l’assiette du nantissement comme si ce dernier portait sur un compte, au crédit duquel seraient portés de nouveaux actifs. Cette possibilité demeure avantageuse compte tenu de la volatilité de ces actifs.

Liberté contractuelle

L’encadrement légal du nantissement de crypto-actifs laisse toutefois une certaine part à la liberté contractuelle – en partie parce que certains sujets relèvent du cas-par-cas et des spécificités du crypto-actif en question. Il en va ainsi du droit de rétention et de la prise de contrôle des actifs par le créancier nanti. Comme le souligne le HCJP, les modalités techniques et technologiques d’exercice de ce droit font débat : par exemple, la notion de contrôle dépend-elle uniquement de la détention de la clef privée par le créancier ou un tiers ? Les modalités définies pour un type de blockchain pourraient d’ailleurs, dans certains cas, se révéler inadaptées à un autre type, à un type de conservation différent, etc. Relevons toutefois que si « les conditions » dans lesquelles le créancier peut disposer des actifs sont à définir contractuellement, le bénéfice par le créancier nanti d’un droit de rétention est acquis. On connaît ici les avantages de ce droit de rétention immatériel en cas de procédure collective du constituant. Pour les mêmes raisons (i.e. la variété des caractéristiques des crypto-actifs, de leur mode de conservation, etc.), les modalités de réalisation du nantissement devront être définies par les parties.

Le nantissement peut par ailleurs bénéficier des dispositions dérogatoires de la directive européenne du 6 juin 2002 concernant les contrats de garantie financière telle que transposée, en droit français, aux articles L. 211-36 et suivants du Code monétaire et financier. En effet, notre droit est venu ajouter les crypto-actifs à la liste des actifs éligibles à ces dispositions, constituant une avancée par rapport au droit européen où la directive précitée ne les inclut pas encore. Les parties bénéficient alors des avantages issus d’une garantie financière, notamment en cas d’ouverture d’une procédure collective de l’une des parties au contrat. Notons que le nantissement constitue l’un des modes de constitution d’une garantie financière, alternativement à la remise en pleine propriété des crypto-actifs à titre de sûreté.

Décret attendu en octobre

Le nouveau régime doit encore être complété par un décret attendu en octobre de cette année, qui doit préciser :

  1. le contenu des énonciations que doit comporter la déclaration constituant le nantissement d’actifs numériques : comme indiqué plus haut, ces énonciations devraient être proches de celles applicables en matière de titres ;
  2. les conditions dans lesquelles la déclaration peut être signée au moyen d’un automate exécuteur de clauses ;
  3. les modalités par laquelle est réalisée la mise en demeure à compter de laquelle le créancier nanti peut réaliser le nantissement ; et
  4. les modalités de réalisation du nantissement à défaut d'accord entre le constituant et le créancier nanti.

L’on pourrait s’attendre à ce que, comme les dispositions législatives, le décret s’inspire en grande partie de la proposition formulée par le HCJP et du droit positif applicable au nantissement de compte-titres.

[1]  Quel cadre juridique pour l’utilisation des actifs numériques en sûretés ?

[2]  Loi n° 2025-391 du 30 avril 2025 portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique, financière, environnementale, énergétique, de transport, de santé et de circulation des personnes.

[3]  Art. L. 226-5 du Code monétaire et financier.

[4]  Jusqu’au 1er juillet 2026, le texte utilise la terminologie d’origine nationale, à savoir celle d’ « actif numérique ». Par commodité, nous emploierons le terme de « crypto-actif » dans le présent article.

[5]  Règlement (UE) 2023/1114 du Parlement européen et du Conseil du 31 mai 2023 sur les marchés de crypto-actifs, et modifiant les règlements (UE) no 1093/2010 et (UE) no 1095/2010 et les directives 2013/36/UE et (UE) 2019/1937.

[6]  Rapport sur le règlement MiCA du Haut Comité Juridique de la Place Financière de Paris 27 janvier 2024.

[7]  Règlement (UE) 2022/2554 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 sur la résilience opérationnelle numérique du secteur financier et modifiant les règlements (CE) no 1060/2009, (UE) no 648/2012, (UE) no 600/2014, (UE) no 909/2014 et (UE) 2016/1011.

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