Le 9 juin 2025, le ministère américain de la Justice (« DOJ ») a levé la suspension temporaire des poursuites au titre du Foreign Corrupt Practices Act (« FCPA ») qui était en vigueur depuis février dernier et a publié de nouvelles directives d’application visant à réorienter les poursuites. Chronique juridique de Muriel Goldberg-Darmon, docteur en Droit, avocate associée du cabinet Cohen & Gresser (Paris) et Christian R. Everdell, avocat associé du cabinet Cohen & Gresser (New York).
Le FCPA est depuis longtemps le principal outil du DOJ pour lutter contre la corruption d’agents publics étrangers en vue d’obtenir un avantage commercial indu. Ces nouvelles directives prévoient que le DOJ privilégiera les poursuites au titre du FCPA contre les entreprises et les ressortissants étrangers dont les actes de corruption placent les entreprises américaines dans une situation de désavantage concurrentiel.
Un changement dans les priorités d’application du FCPA par le DOJ
Le 10 février 2025, peu après son entrée en fonction, le président Trump a publié le décret exécutif 14209[1] suspendant l’ouverture de toute nouvelle enquête FCPA pendant 180 jours. Il a également demandé à la nouvelle ministre de la Justice[2], Pam Bondi, de publier des lignes directrices révisées qui, entre autres, « donneraient la priorité aux intérêts américains » et favoriseraient « la compétitivité économique américaine par rapport aux autres nations ». En effet, le président Trump a estimé que le FCPA avait été « systématiquement [...] étendu au-delà des limites appropriées » et appliquée de manière « excessive et imprévisible », ce qui « nuit activement à la compétitivité économique américaine ».
Le 9 juin 2025, le procureur général adjoint[3], Todd Blanche, a publié un mémorandum (le « Mémorandum Blanche ») présentant les nouvelles directives FCPA. Conformément au décret exécutif du président Trump, ces directives du DOJ prévoient que les enquêtes et les poursuites au titre du FCPA seront menées avec deux objectifs principaux : « (1) limiter les charges excessives pesant sur les entreprises américaines opérant à l’étranger et (2) cibler les mesures coercitives contre les comportements qui portent directement atteinte aux intérêts nationaux des États-Unis »[4].
Par ailleurs, il ressort des nouvelles directives que les procureurs doivent donner la priorité aux affaires impliquant notamment de la corruption dans les secteurs d’activité essentiels à la sécurité nationale des États-Unis, tels que la défense, le renseignement et les infrastructures critiques.
Le Mémorandum Blanche indique également que le DOJ examinera attentivement les cas dans lesquels des entreprises non américaines entravent les opportunités commerciales américaines à l’étranger, soulignant que « [e]n soudoyant des fonctionnaires étrangers pour obtenir des contrats lucratifs et des profits illicites, [...] les concurrents corrompus faussent les marchés et désavantagent les entreprises américaines ou autres entités respectueuses de la loi pendant de nombreuses années ».
Ainsi, même si le Mémorandum Blanche indique que le DOJ ne ciblera pas les entreprises et les individus « en fonction de leur nationalité », il semble clair que les entreprises et les ressortissants non américains, notamment français, seront une priorité pour le DOJ. Ces derniers doivent dès lors s’attendre à un risque accru de contrôle et de poursuite de la part du DOJ si leur comportement est considéré comme préjudiciable aux intérêts américains, notamment lorsqu’ils opèrent dans des secteurs d’activité stratégiquement importants pour les États-Unis.
Une large compétence juridictionnelle du DOJ sur les acteurs étrangers
La compétence juridictionnelle du DOJ est assez large pour poursuivre des ressortissants non américains. Par exemple, ces derniers peuvent être soumis au FCPA s’ils résident aux Etats-Unis (quel que soit le lieu du comportement), ou en cas d’utilisation de tout moyen ou instrument de commerce interétatique américain[5] en vue de commettre une violation de la FCPA (i.e. emails, SMS, virements électroniques ou appels téléphoniques acheminés via les États-Unis).
En août 2025, le DOJ a annoncé la première poursuite judiciaire importante engagée conformément aux nouvelles directives FCPA, qui vise des ressortissants non américains. Dans cette affaire United States v. Rovirosa[6], deux ressortissants mexicains résidant aux États-Unis ont été accusés d’avoir versé des pots-de-vin à des fonctionnaires de la compagnie pétrolière publique mexicaine. Cette affaire de corruption concernait le secteur de l’énergie, un domaine étroitement lié à la sécurité économique et nationale des États-Unis. Cette affaire témoigne de la volonté du DOJ de poursuivre les acteurs étrangers opérant dans des secteurs stratégiquement importants, lorsque leur comportement porte atteinte aux intérêts des États-Unis.
Les risques et sanctions potentielles en cas de violation du FCPA
Les conséquences juridiques et financières d’une poursuite au titre du FCPA sont importantes. La violation des dispositions pénales anti-corruption du FCPA peut être sanctionnée pour les entreprises par une amende maximale de 2 millions de dollars par infraction et, pour les personnes physiques par une amende de 250 000 dollars par infraction et cinq ans d’emprisonnement. Ces amendes peuvent être considérablement alourdies par le DOJ, conformément aux dispositions relatives aux amendes alternatives, et atteindre le double du gain ou de la perte pécuniaire brut résultant de l’infraction.
La violation des dispositions comptables du FCPA exposent à des sanctions potentielles encore plus lourdes, à savoir 25 millions de dollars d’amende par infraction pour les entreprises et, 5 millions de dollars d’amende et jusqu’à 20 ans de prison pour les personnes physiques.
Comme le mentionne le Mémorandum Blanche, « les mesures coercitives les plus importantes prises en vertu du FCPA, tant en termes d’ampleur des infractions que de montant des sanctions pécuniaires infligées, ont été prises à l’encontre d’entreprises étrangères dans leur grande majorité ». A cet égard, on peut citer la société suisse Glencore, spécialisée dans les matières premières et l’exploitation minière, qui a dû verser plus de 1,1 milliard de dollars[7], ou encore pour la société Mobile TeleSystems PJSC (MTS), plus grand fournisseur de télécommunications de Russie, qui a accepté un règlement de 850 millions de dollars[8].
Une vigilance requise pour les entreprises non-américaines
Le 12 mai 2025, quelques semaines avant la publication des nouvelles directives FCPA, le DOJ a modifié sa politique en matière de « self-disclosure » afin d’encourager les entreprises à signaler elles-mêmes les violations potentielles du FCPA[9]. A ce titre, le DOJ a notamment annoncé qu’en l’absence de circonstances aggravantes, il pourrait renoncer à poursuivre une entreprise qui se dénonce, renonce à tout profit tiré de la faute et indemnise intégralement toute victime de l’infraction[10].
Dans ce contexte, les entreprises françaises, et plus généralement non américaines, se doivent d’être vigilantes. Elles peuvent bien sûr en amont renforcer leurs programmes de conformité en matière de lutte contre la corruption. Surtout, en cas de détection de potentiels actes de corruption, elles devront évaluer les risques et l’opportunité de coopérer avec le DOJ.
[1] “Executive Order 14209” du 10 février 2025, “Pausing Foreign Corrupt Practices Act Enforcement To Further American Economic and National Security”.
[2] « Attorney General ».
[3] « Deputy Attorney General ».
[4] Memorandum du 9 juin 2025 « Guidelines for Investigations and Enforcement of the Foreign Corrupt Practices Act (FCPA) », U.S. Department of Justice, Deputy Attorney General.
[5] “any means or instrumentality of U.S. interstate commerce”.
[6] Acte d’accusation, États-Unis c. Rovirosa, n° 4:25-cr-00415 (S.D. Tex. 6 août 2025), ECF n° 1.
[7] Voir United States v. Glencore Int’l A.G., n° 1:22-cr-00297-LGS (S.D.N.Y. 27 février 2023) (Opinion and Order), ECF n° 38.
[8] Voir le communiqué de presse du DOJ du 7 mars 2019 intitulé « Mobile Telesystems Pjsc and Its Uzbek Subsidiary Enter into Resolutions of $850 Million with the Department of Justice for Paying Bribes in Uzbekistan ».
[9] Memorandum du 12 mai 2025 « Focus, Fairness, and Efficiency in the Fight Against White-Collar Crime », U.S. Department of Justice, Office of the Assistant Attorney General.
[10] Justice Manual § 9-47.120, Criminal Division Corporate Enforcement and Voluntary Self-Disclosure Policy.