Dans le cadre du projet de loi de finances 2025, le gouvernement français souhaite transposer en droit interne les dispositions de la directive « DAC8 » adoptée le 17 octobre 2023 par le Conseil de l'Union européenne en matière de transparence fiscale dans le secteur des crypto-actifs. Cette volonté s’inscrit dans un double objectif clairement affiché par le gouvernement français de lutter contre la fraude fiscale, le blanchiment d’argent ainsi que le financement du terrorisme dans le secteur particulier des crypto-actifs. Chronique juridique de Stéphanie Hamis associée chez Arsene, Margot Huvet et Hugo Cernettig, collaborateurs au sein du cabinet d'avocat.
L’adoption de la directive « DAC8 » marque pour les Etats membres de l’Union Européenne une nouvelle étape en matière de coopération administrative fiscale en ce qu’elle assujettit le marché des crypto-actifs à l’échange automatique d’informations. Cette nouvelle directive qui a modifié pour la huitième fois la directive 2011/16/UE soumet désormais les prestataires de services sur crypto-actifs (« PSCA ») à une nouvelle obligation déclarative renforcée auprès de leur administration fiscale respective.
La création de ces nouvelles obligations déclaratives permet aux Etats membres de se doter d’instruments juridiques visant à améliorer la transparence fiscale dans le secteur particulier des crypto-actifs et à lutter contre la fraude et l'évasion fiscale. En effet comme nous l’avions évoqué dans un précédent article, le marché des crypto-actifs initialement peu régulé constitue pour les Etats membres un enjeu important de captation des recettes fiscales d’environ 1,7 milliard d’euros. Pour parvenir à ces objectifs, la directive DAC8 impose aux Etats membres de transcrire dans leur législation respective ces nouvelles obligations déclaratives avant le 31 décembre 2025.
Entrée en vigueur 2026
C’est dans ce contexte que le gouvernement français envisage dans le cadre de son projet de loi de finances pour 2025[1] de transposer en droit interne la directive DAC8 dès le 1er janvier 2025, tout en prévoyant une entrée en vigueur de ce nouveau dispositif à compter du 1er janvier 2026. La transposition anticipée de ces nouvelles obligations déclaratives permettrait aux acteurs du secteur des crypto-actifs (les PSCA ainsi que les utilisateurs des crypto-actifs) de s’approprier cette nouvelle réglementation et d’adapter leurs systèmes informatiques afin d’assurer la collecte des informations nécessaires pour satisfaire à ces nouvelles exigences déclaratives.
A compter du 1er janvier 2026, les PSCA seraient tenus de déclarer directement auprès de l’administration fiscale française les transactions sur crypto-actifs réalisées par leur intermédiaire pour le compte de tiers.
Les prestataires de services soumis à cette obligation déclarative seraient l’ensemble des intermédiaires financiers définis par le règlement MiCA[2] à savoir les prestataires de services qui sont agréés auprès de l’Autorité des marchés financiers (« AMF ») ou simplement autorisés par cette même autorité à fournir des services d’investissement sur crypto-actifs. Seraient également visés par cette nouvelle obligation déclarative les PSCA qui ne sont ni agréés, ni autorisés par l’AMF à fournir de tels services, mais remplissant certaines conditions tenant à leur forme sociale ou au lieu de leur résidence fiscale, ou encore au lieu de la gestion de leur activité (à titre illustratif, les PSCA non agréés et non autorisés par l’AMF mais disposant en France de leur résidence fiscale seraient soumis à cette obligation déclarative). Les PSCA non agréés ou non autorisés par l’AMF devront en sus de leur obligation déclarative s’enregistrer auprès de l’administration fiscale.
Triple enjeu d'identification
Néanmoins, l’ensemble des transactions réalisées par l’intermédiaire de ces PSCA n’auront pas à être rapportées auprès de l’administration fiscale française. En effet, seules les opérations réalisées sur crypto-actifs pour le compte d’utilisateurs tiers (i) résidents de France ou d’un Etat partenaire et (ii) ayant réalisé au moins l’une de ces transactions, soit un échange entre différents types de crypto-actifs ou entre crypto-actifs et monnaie émise par une banque centrale, soit un transfert de crypto-actifs depuis ou vers un compte ou une adresse appartenant à l’utilisateur, devront être déclarées.
La mise en œuvre de ces nouvelles obligations déclaratives constituera pour les PSCA un triple enjeu d’identification, de qualification et de collecte des informations. En effet, pour satisfaire à ces nouvelles exigences déclaratives, les PSCA devront être en mesure d’identifier parmi l’ensemble des transactions sur crypto-actifs réalisées par leur intermédiaire pour le compte de leurs clients, celles qui devront être déclarées auprès des autorités fiscales françaises.
Les PSCA devront pour cela réaliser un travail important de qualification juridique de leur transactions (qualification juridique de la transaction elle-même ainsi que de la nature de crypto-actifs). Les prestataires devront également être en mesure d’obtenir certaines informations personnelles auprès de leurs utilisateurs (lieu de leur résidence fiscale et numéros d’identification fiscale notamment). A cet égard, les PSCA seraient tenus d’informer leur utilisateurs que les données collectées et transmises à l’administration fiscale française pourront être communiquées à l'administration fiscale d’un autre Etat ou territoire partenaire. Parallèlement, les PSCA devront s’assurer de la fiabilité des données qu’ils collecteront.
La transposition anticipée de la directive dès le 1er janvier 2025 telle qu’envisagée par le gouvernement français apparaît ainsi opportune, compte tenu de l’ensemble des enjeux opérationnels auxquels les PSCA devront répondre pour satisfaire à leurs nouvelles obligations déclaratives.
La déclaration établie par les PSCA devra indiquer l’identité du déclarant (i.e., du PSCA) et identifier chaque utilisateur de crypto-actifs ayant réalisé des transactions ainsi que toute personne détenant le contrôle d’un utilisateur de de crypto-actifs ayant réalisé des transactions. Celle-ci devra être transmise à l’administration fiscale française l’année suivant celle au cours de laquelle les transactions ont été réalisées. Les premières déclarations seraient donc réalisées à compter du 1er janvier 2027. Le gouvernement prévoit par ailleurs de sanctionner le non-respect des obligations déclaratives par l’application d’une amende de 15 € par transaction non déclarée, déclarée tardivement, ou comportant des inexactitudes ou omissions, dont le montant total ne pourrait excéder 2 000 000 € par prestataire de services et par année civile.
La création de ces nouvelles obligations déclaratives renforce un peu plus l’arsenal législatif français en matière de crypto-actifs. Ce dispositif s’ajoute en effet au dispositif déclaratif déjà existant selon lequel les contribuables français sont tenus de déclarer leur plus-values réalisées sur crypto-actifs supérieures à 305 euros. En effet, si l’introduction de ces nouvelles obligations déclaratives ne modifie pas en soi les obligations fiscales des contribuables en matière de crypto-actifs, il n’en reste pas moins que ce nouveau dispositif constituera à l’avenir un nouvel outil de contrôle pour l’administration fiscale française. Ce nouveau formalisme lui permettra d’assurer un contrôle de cohérence entre les informations recueillies dans le cadre des déclarations effectuées par les PSCA et les déclarations de plus-values réalisées par les contribuables.
[1] Article 14 du Projet de Loi de Finances pour 2025
[2] Règlement (UE) 2023/1114 du Parlement Européen et du Conseil du 31 mai 2023 sur les marchés de crypto-actifs