Directive sur le devoir de vigilance : incidences pour les sociétés françaises

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La directive européenne du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance[1] est récemment entrée en vigueur. Cette directive, qui a vocation à remplacer le régime français existant, devrait avoir un impact significatif sur le contentieux français de la vigilance au cours des prochaines années. Chronique juridique de Muriel Goldberg-Darmon, docteur en Droit, avocate associée du cabinet Cohen & Gresser, Guillaume Guérin et Pierre Wolman, avocats du cabinet Cohen & Gresser.

Ces dernières années, l’Union européenne a construit un cadre réglementaire européen autour de la finance durable afin de renforcer les activités durables des entreprises et accroître leur transparence. Avec l’adoption du règlement Taxonomie[2] du 18 juin 2020 et de la directive CSRD[3] du 14 décembre 2022, les obligations des entreprises en matière de transparence et de fiabilité de l’information extra-financière ont ainsi été renforcées.

L'adoption de la directive sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité renforce encore davantage ce cadre réglementaire.

La directive européenne du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance

La directive européenne sur le devoir de vigilance a pour objet de prévenir et atténuer l’impact négatif de l’activité des grandes entreprises européennes, de leurs filiales et de leurs partenaires commerciaux, sur les droits humains et environnementaux.

La directive, qui rentrera en application de façon progressive entre 2027 et 2029, prévoit que ces entreprises[4] devront, une fois la directive transposée, prendre les mesures suivantes :

  • intégrer le devoir de vigilance dans leurs politiques et leurs systèmes de gestion des risques (article 7) ;
  • recenser et évaluer les incidences négatives réelles ou potentielles sur les droits humains et l’environnement (article 8) et, si nécessaire, les hiérarchiser (article 9) ;
  • prévenir et atténuer les incidences négatives potentielles ainsi que mettre un terme aux incidences négatives réelles (article 10 et 11) ;
  • réparer les incidences négatives réelles (article 12) ;
  • mener des échanges constructifs avec l’ensemble des parties impliquées (article 13) ;
  • établir et maintenir une procédure de réclamation (article 14) ;
  • contrôler l’efficacité des mesures de vigilance (article 15) ; et
  • communiquer publiquement sur le devoir de vigilance (article 16).

Les obligations contenues dans la directive ne sont pas sans rappeler la loi française du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance qui impose déjà à certaines grandes entreprises[5] d’établir un plan de vigilance et de le rendre public.

Un accroissement du contentieux de vigilance dans les prochaines années

Avec la transposition de la directive européenne, on peut s’attendre à ce que le nombre de contentieux de vigilance augmente fortement dans les prochaines années.

En effet, la directive élargit considérablement le nombre d’entreprises soumises à l’obligation d’établir un plan de vigilance : alors que la loi du 27 mars 2017 est applicable uniquement aux entreprises employant au moins 5.000 salariés, ce seuil est abaissé à 1.000 salariés par la directive européenne.

Par ailleurs, la directive prévoit la création d’une autorité nationale de contrôle chargée d’enquêter, de surveiller et de sanctionner les entreprises qui ne respectent pas leurs obligations de vigilance[6]. Cette autorité pourra infliger des amendes pouvant aller jusqu’à 5 % du chiffre d’affaires net mondial de l’entreprise sanctionnée et recourir au name and shame[7]. Un contentieux de nature quasi-pénale a ainsi vocation à voir le jour. Les décisions de cette autorité pourront faire l’objet d’un recours juridictionnel[8].

En parallèle de ce contentieux administratif, la directive prévoit la possibilité d’engager la responsabilité civile des entreprises assujetties[9]. Rappelons qu’une telle possibilité existe déjà en France : le tribunal judiciaire de Paris, exclusivement compétent[10], peut ainsi enjoindre une entreprise de se conformer à ses obligations[11] et/ou condamner l’entreprise, sur le fondement de la responsabilité civile, à réparer le préjudice que l’exécution de ses obligations aurait permis d’éviter[12].

Notons d’ailleurs que les juridictions françaises compétentes se sont récemment structurées en la matière avec des chambres spécialisées. Le tribunal judiciaire de Paris a ainsi créé le 2 septembre 2024 la « chambre de la régulation sociale, économique et environnementale », compétente pour traiter des contentieux de vigilance et des contentieux assimilés. La cour d’appel de Paris a quant à elle mis en place le 15 janvier 2024 une chambre dédiée aux contentieux émergents, en charge des litiges sur le devoir de vigilance et la responsabilité écologique.

[1] Directive (UE) 2024/1760 du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937 et le règlement (UE) 2023/2859.

[2] Règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.

[3] Directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) no 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises.

[4] La directive sur le devoir de vigilance a vocation à s’appliquer (i) aux entreprises et aux sociétés mères européennes employant plus de 1.000 personnes et réalisant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 450 millions d’euros ; (ii) aux franchises dans l’UE réalisant un chiffre d’affaires mondial supérieur à 80 millions d’euros si au moins 22,5 millions d’euros ont été générés par des redevances ; et (iii) aux entreprises non européennes, aux sociétés mères et aux franchises de pays tiers qui atteignent les mêmes seuils de chiffre d’affaires dans l’UE (article 2 de la Directive).

[5] Sont concernées par les obligations prévues par la loi du 27 mars 2017 (i) les entreprises employant au moins 5.000 salariés en leur seins et dans leurs filiales et dont le siège social est en France et (ii) les entreprises employant au moins 10.000 salariés en leur seins et dans leurs filiales et dont le siège social est en France ou à l’étranger.

[6] Article 24 de la directive (UE) 2024/1760 du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance.

[7] Article 27 de la directive (UE) 2024/1760 du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance.

[8] Article 25 de la directive (UE) 2024/1760 du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance.

[9] Article 29 de la directive (UE) 2024/1760 du 13 juin 2024 sur le devoir de vigilance.

[10] Loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l’institution judiciaire qui vient introduire l’article L. 211-21 du code de l’organisation judiciaire.

[11] Article L. 225-102-4 II du Code de commerce.

[12] Article L. 225-102-5 du Code de commerce.

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