La titrisation se met au vert

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L'adaptation de la titrisation aux objectifs environnementaux et sociaux est une question débattue depuis longtemps au sein des instances européennes. Cette nécessaire adaptation répond aussi à un besoin croissant des investisseurs de s'orienter vers des produits plus vertueux d'un point de vue environnemental et social. Le Règlement (UE) 2023/2631 du Parlement européen et du Conseil daté du 22 novembre 2023 sur les obligations vertes européennes vient répondre en partie à cette attente. Chronique juridique de Clément Vandevooghel, avocat au Barreau de Paris, Counsel, Gide Loyrette Nouel A.A.R.P.I et Agathe Llorens, avocat au Barreau de Paris, collaboratrice, Gide Loyrette Nouel A.A.R.P.I. 

La question de la titrisation durable a trouvé un écho particulier depuis la publication du rapport de l'Autorité Bancaire Européenne (ABE) en mars 2022 relatif au développement d'un cadre pour la titrisation durable. L'ABE a alors considéré qu'il serait prématuré d'établir un cadre dédié à la titrisation verte ou durable, et a préconisé d'adapter plutôt la règlementation à venir sur les obligations vertes européennes aux titrisations.

Règlement EuGB

C'est désormais chose faite depuis la publication le 30 novembre 2023 du Règlement (UE) 2023/2631 du Parlement européen et du Conseil daté du 22 novembre 2023 sur les obligations vertes européennes et la publication facultative d’informations pour les obligations commercialisées en tant qu’obligations durables sur le plan environnemental et pour les obligations liées à la durabilité (le Règlement EuGB).

S'inscrivant dans la continuité des Règlements SFDR et Taxonomie, le Règlement EuGB marque la volonté de l'Union européenne d'établir un cadre réglementaire pour la finance durable s'agissant des investissements prenant la forme d'obligations. En effet, il n'existait jusqu'à présent aucune définition commune des activités économiques durables supportées par l'émission d'obligations, empêchant ainsi les investisseurs d'identifier clairement les obligations dont le produit est orienté vers la réalisation d'objectifs environnementaux et sociaux. En établissant une norme uniforme en matière d'obligations durables, le Règlement EuGB a donc pour ambition de faciliter l'identification des investissements durables, d'accroître l'efficacité du marché et de remédier à l'écoblanchiment. Le Règlement EuGB s'aligne sur le Règlement Taxonomie, qui fournit un cadre pour les activités considérées comme "vertes", et s'applique sur une base volontaire aux obligations émises aussi bien par des entreprises financières que non financières.

S'agissant en particulier des obligations émises dans le cadre de titrisations, le Chapitre 3 du Règlement EuGB précise ainsi les conditions d'utilisation de l'appellation "obligation verte européenne" ou "EuGB" pour les obligations titrisées.

A ce titre, dans le cadre spécifique de titrisations, les exigences du Règlement EuGB s'appliquent au niveau de l'initiateur (originator) (et non au niveau de l'émetteur), ce qui permet ainsi aux titrisations qui ne sont pas adossées à un portefeuille d'actifs "verts" de satisfaire néanmoins aux exigences du Règlement EuGB lorsque l'initiateur s'engage à utiliser le produit de l'émission pour générer de nouveaux actifs "verts".

Titrisations dites true sale

Le champ d'application du Règlement EuGB ne concerne que les titrisations définies comme telles par l'article 2, point 1 du Règlement Titrisation (UE) 2017/2402. En outre, à ce stade, seules les titrisations dites true sale sont éligibles à l'appellation EuGB, le Règlement EuGB excluant de l'appellation les obligations émises à des fins de titrisation synthétique.

L'utilisation de l'appellation EuGB pour les obligations titrisées suppose la satisfaction de certaines exigences énoncées au Titre II du Règlement.

D'abord, les produits des obligations titrisées devront être intégralement affectés par l'initiateur conformément aux exigences de la taxinomie, en finançant des activités économiques durables sur le plan environnemental ou en contribuant à la transformation des activités pour qu'elles deviennent durables. Toutefois, le Règlement EuGB prévoit une certaine flexibilité jusqu’à ce que le cadre de la taxinomie soit pleinement opérationnel, puisqu'au moins 85 % des fonds levés par les obligations titrisées "EuGB" devront être affectés par l'initiateur à des activités économiques conformes à la taxinomie.

Ensuite, l'initiateur devra compléter, avant toute émission d'obligations EuGB, une fiche d'information qui comportera notamment une description de la stratégie environnementale de l'initiateur et de la manière dont les obligations EuGB contribueront à cette stratégie. Cette fiche sera soumise à un examinateur externe qui, dans le cadre d'une titrisation, sera l'autorité compétente chargée de surveiller la conformité des titrisations avec la désignation "simple, transparente et standardisée".

Document d'examen post-émission

Enfin, l'initiateur devra obtenir un document d'examen post-émission établi après l'affectation intégrale du produit des obligations EuGB. L'ensemble des rapports d'affectation et des documents d'examen post-émission devront être rendus publics dans un délai de 270 jours à compter de la fin de chaque période de douze mois.

En toute hypothèse, ne sont pas éligibles à l'appellation EuGB les obligations titrisées qui seraient adossées à des expositions finançant la prospection, l'exploitation minière, l'extraction, la production, la transformation, le stockage, le raffinage ou la distribution, y compris le transport, et le commerce de combustibles fossiles.

L'approche dite "use of proceeds" au niveau de l'initiateur retenue par le Règlement EuGB semble être la méthode la plus efficace dans le cadre d'une titrisation durable. En effet, l'application d'une telle méthode au niveau de l'émetteur des obligations titrisées ne permettrait sans doute pas d'atteindre pleinement les objectifs poursuivis par le Règlement EuGB, puisque d'un côté, cela n'empêcherait pas l'initiateur d'utiliser les produits des obligations titrisées pour financer des actifs non durables, et d'un autre côté, dans la mesure où il n'existe aujourd'hui qu'un nombre limité d'actifs durables pouvant être titrisés (les actifs conformes à la taxinomie européenne représentant actuellement une très faible proportion des actifs bancaires selon l'ABE), une telle approche au niveau de l'émetteur limiterait considérablement le potentiel de développement d'une titrisation durable.

Le Règlement EuGB, qui marque une avancée importante dans la promotion de la finance durable en Europe, sera applicable aux obligations titrisées émises à compter du 21 décembre 2024.

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