L’émergence d’un devoir de vigilance européen pour les entreprises

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La directive sur le devoir de vigilance (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, « directive CSDD »), vient d'être adoptée au Parlement européen. Chronique juridique de Marie-Aude Noury, avocat au Barreau de Paris, associée, Squair A.A.R.P.I.

La directive sur le devoir de vigilance (Corporate Sustainability Due Diligence Directive, « directive CSDD »), après des débats vifs, a été adoptée par le Parlement européen le 24 avril 2024[1]. Ce texte complètera les autres textes européens ayant institué en particulier des obligations de transparence en matière de durabilité pour les entreprises (directive CSRD sur la publication d’informations en matière de durabilité), dans le secteur financier (règlement SFDR sur la publication d’informations en matière de durabilité dans le secteur des services financiers) ainsi que le règlement taxinomie.

Bien que moins ambitieux qu’initialement envisagé, le texte final instaure au niveau européen un devoir de vigilance pour les grandes entreprises européennes ou opérant en Europe, consistant à identifier, hiérarchiser, prévenir et atténuer les impacts négatifs (et, le cas échéant, y remédier) de leur activité sur les droits humains et environnementaux, tels que définis par les standards internationaux, et ce tout au long de la chaîne de valeur.

Cette directive introduit au niveau européen la responsabilité sociétale (corporate accountability) des grandes entreprises pour leurs activités et les activités de ceux qui y contribuent et sur lesquels elles exerçent un pouvoir d’influence.

La France pionnière

La France a instauré le devoir de vigilance par la loi n°2017-399 du 27 mars 2017. Cependant la loi française a une portée plus restreinte : elle ne vise que les entreprises françaises de plus de 5 000 salariés. De plus, le devoir de vigilance au titre de la loi française peut donner lieu à des injonctions (voire à la mise en œuvre de la responsabilité civile) mais non à des amendes civiles, cette possibilité prévue initialement ayant été censurée par le Conseil Constitutionnel[2] en raison de l’imprécision des obligations en cause.

Les entreprises concernées

La directive CSDD s’applique aux entreprises de plus de 1 000 salariés et de plus de 450 millions d’euros de chiffre d’affaires. Elle s’applique également aux entreprises non européennes dès lors qu’elles réalisent au moins 450 millions d’euros de chiffre d’affaires sur le territoire de l’Union européenne. Sont également visées des entreprises ayant conclu des accords de franchise ou de licence sur le territoire de l’Union européenne selon certains seuils. Il n’y a plus de seuils spécifiques pour certaines activités jugées à risques.

Avec ces seuils réhaussés par rapport à ceux initialement prévus, la directive viserait 5 500 sociétés (contre 16 000 initialement).

Son application sera progressive au cours des cinq prochaines années de la manière suivante :

  • en 2027 pour les sociétés de plus de 5 000 salariés et de 1 500 millions d’euros de chiffre d’affaires,
  • en 2028 pour les entreprises de plus de 3 000 salariés et de 900 millions d’euros de chiffre d’affaires,
  • en 2029 pour les entreprises de plus de 1 000 employés et de 450 millions d’euros de chiffre d’affaires.

Démarche de vigilance et chaîne d’activités

La directive CSRD crée des obligations de transparence tandis que la directive CSDD crée des obligations de due diligence. Il s’agit pour les entreprises d’adopter une démarche de vigilance qui s’articule autour de six axes. La démarche de vigilance consiste à définir une politique globale de vigilance (notamment code de conduite) intégrée dans la gestion des risques, à recenser, évaluer et hiérarchiser les incidences négatives en établissant une cartographie des risques, à prévenir, atténuer les incidences négatives, y compris en mettant un terme à la relation commerciale, et à réparer les conséquences négatives, ce à travers un dialogue avec les parties prenantes et la mise en place de mécanismes d’alerte et de suivi. Cette démarche est rendue publique, en particulier dans le rapport de durabilité.

L’obligation de vigilance couvre toute la chaîne de valeur, c’est-à-dire les activités de l’entreprise assujettie, de ses filiales, de ses partenaires commerciaux tout au long de la chaîne d’activités, en amont et en aval, à l’exclusion cependant des activités des partenaires commerciaux en aval d’une entreprise en lien avec les services de cette dernière. Pour le cas des entreprises financières réglementées, seule la partie en amont de leurs chaînes d’activités sera visée par l’obligation de vigilance.

Cette démarche s’effectue notamment par la mise en place de garanties contractuelles auprès des partenaires commerciaux qui seront utilisées, à titre probatoire, par les entreprises concernées pour démontrer le respect de leurs obligations. La mise en exergue du contrat dans la mise en œuvre du devoir de vigilance et, par la même, de la place du juge est à souligner.

La Commission fournira des lignes directrices sur les clauses contractuelles types que les entreprises pourront utiliser de façon volontaire.

Ce texte prévoit également des dispositions pour les groupes afin que les obligations puissent être exécutées au niveau de la société mère.

Enjeux climatiques

Les entreprises devront établir et mettre en œuvre un plan de transition climatique compatible avec l’objectif de 1,5°C de l’accord de Paris et son contenu devrait être conforme aux exigences d’information prévues par la directive CSRD[3] au titre du rapport de durabilité.

Sanctions

Les autorités de contrôle désignées par les Etats membres seront en charge de surveiller le respect des obligations, d’enquêter et de sanctionner les entreprises défaillantes. Les sanctions pécuniaires pourront atteindre 5 % du chiffre d’affaires net mondial du groupe ayant commis l’infraction.

La directive autorise également les victimes à agir en justice contre les entreprises défaillantes.

Le texte de la directive doit désormais être approuvé par le Conseil, d’ici à fin mai. Elle entrera en vigueur 20 jours après sa publication au journal officiel de l’Union européenne. Les Etats membres auront deux ans pour la transposer dans leurs législations nationales.

[1] P9_TA (2024) 0329 Résolution législative du Parlement européen du 24 avril 2024 sur la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil sur le devoir de vigilance des entreprises en matière de durabilité et modifiant la directive (UE) 2019/1937

[2] Cons. Const. 23 mars 2017, n°2017-750 DC

[3] Guide pédagogique AMF, « Rendre compte de son plan de transition climatique au format ESRS », 9 février 2024

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