L’identification des créances dans un bordereau de cession de créances à un organisme de financement  

  • Publication publiée :5 juillet 2022
  • Post category:Avis d'expert
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Chronique juridique de Xavier de Kergommeaux, avocat au Barreau de Paris, associé, Clément Vandevooghel, avocat au Barreau de Paris, counsel et Agathe Llorens, avocat au Barreau de Paris, collaboratrice chez Gide Loyrette Nouel A.A.R.P.I.

Par un arrêt rendu le 25 mai 2022, la chambre commerciale de la Cour de cassation confirme que, si une créance cédée à un fonds commun de titrisation doit être identifiée ou identifiable dans le bordereau de cession, cette identification ne doit pas nécessairement se faire par l'indication de la nature, du montant ou du nom du débiteur de ladite créance.

La libre identification des créances

L'interprétation des articles L.214-169 et D. 214-227 du Code monétaire et financier est au cœur du litige opposant un fonds commun de titrisation, représenté par sa société de gestion, à un couple de débiteurs.

Pour rappel, l'article L. 214-169 du Code monétaire et financier énonce que « l'acquisition ou la cession de créances par un organisme de financement s'effectue par la seule remise d'un bordereau » et l'article D. 214-227 du Code monétaire et financier précise que ce bordereau doit notamment comporter « la désignation ou l'individualisation des créances cédées ou les éléments susceptibles d'y pourvoir ».

En l'espèce, poursuivant une créance en paiement détenue à l'encontre d'un couple de débiteurs, une banque a engagé une procédure de saisie immobilière sur le bien appartenant au couple. La banque a, par la suite, cédé sa créance à un fonds commun de titrisation, et ce dernier, représenté par sa société de gestion, a repris la procédure en lieu et place de la banque. Le couple a contesté la qualité de créancier du fonds devant le juge de l’exécution, mais ce dernier les a déboutés. Le couple a donc interjeté appel.

La cour d'appel de Riom a fait droit à leur demande, et a annulé le commandement de payer aux fins de saisie immobilière, estimant que les indications chiffrées sur le bordereau de cession ne permettaient pas d'identifier la créance cédée, et que ni la nature, ni le montant de la créance, ni le nom des débiteurs n'y figuraient.

Le fonds, représenté par sa société de gestion, s'est donc pourvu en cassation, estimant que, si les articles L.214-169 et D. 214-227 du Code monétaire et financier disposent que la cession des créances s'effectue par la seule remise d'un bordereau, lequel doit comporter la désignation ou l'individualisation des créances cédées ou les éléments susceptibles d'y pourvoir, ces articles n'imposent en revanche aucune mention obligatoire relative au nom des débiteurs, à la nature de la créance cédée ou encore à son montant.

La Cour de cassation partage cette analyse. En effet, elle énonce que le bordereau doit bien comporter la désignation ou l'individualisation des créances cédées ou les éléments susceptibles d'y pourvoir, mais que les procédures d'identification proposées par l'article D. 214-227 du Code monétaire et financier ne sont ni impératives ni exhaustives. Ainsi, la Cour de cassation affirme que l’indication de la nature et du montant de la créance cédée ainsi que le nom du débiteur ne constituent pas des mentions devant obligatoirement figurer sur le bordereau et que l'identification de ladite créance peut intervenir grâce à d'autres éléments comme des éléments chiffrés, comme cela était le cas en l'espèce. L'identification des créances dans un bordereau de cession peut donc se faire de manière libre, pourvu qu'elle permette de les désigner ou de les individualiser clairement.

Une interprétation littérale et souple des textes

La décision de la Cour de cassation n'est pas surprenante dans la mesure où elle procède à une interprétation littérale de l'article D. 214-227 du Code monétaire et financier. En effet, cet article impose que certaines mentions doivent nécessairement figurer dans le bordereau de cession, telles que la dénomination « acte de cession de créances », la mention du fait que la cession est soumise aux dispositions des articles L. 214-169 à L. 214-175 du Code monétaire et financier ou encore la désignation du cessionnaire. Pour autant, si la désignation ou l'individualisation des créances cédées est également un élément impératif du bordereau, le texte prévoit une certaine souplesse, en ce qu'il énonce, à titre d'exemple uniquement, qu'une telle désignation ou individualisation peut être faite par « l'indication du débiteur ou du type de débiteurs, des actes ou des types d'actes dont les créances sont ou seront issues, du lieu de paiement, du montant des créances ou de leur évaluation et, s'il y a lieu, de leur échéance ». 

Dans sa décision, la cour d'appel justifiait l'annulation du commandement de payer aux fins de saisie immobilière par l'absence de la mention de la nature de la créance, de son montant et du nom des débiteurs. Or, en statuant ainsi, alors que de tels éléments ne constituent pas des mentions devant obligatoirement figurer sur le bordereau, la cour d'appel a ajouté des conditions supplémentaires, non prévues par le texte. De son côté, la Cour de cassation ne fait qu'adopter une lecture littérale du texte, en énonçant que les éléments d'identification proposés par le Code monétaire et financier ne sont ni impératifs, ni exhaustifs, puisqu'ils sont listés à titre d'exemple uniquement. 

En outre, la solution proposée par la Cour n'est pas non plus surprenante au regard de la jurisprudence retenue en matière de cession de créances professionnelles par voie de bordereau (dite « cession Dailly »). En effet, comme pour les cessions de créances aux organismes de financement, l'article L.323-23 du Code monétaire et financier établit également une liste des mentions devant obligatoirement figurer sur le bordereau de cession Dailly, à savoir « la désignation ou l'individualisation des créances cédées ou données en nantissement ou des éléments susceptibles d'effectuer cette désignation ou cette individualisation, comme l'indication du débiteur, du lieu de paiement, du montant des créances ou de leur évaluation, ou encore leur échéance ». Or, en la matière, la jurisprudence a déjà notamment retenu que la désignation du débiteur cédé n'est pas une mention obligatoire, mais qu'elle constitue seulement l'un des moyens permettant d'identifier les créances cédées, tout comme la mention de l'adresse du débiteur qui n'est pas non plus obligatoire. Il est donc logique, étant donné la similitude des textes, que la même solution soit retenue pour les cessions de créances à des organismes de financement.

Ainsi, l'interprétation littérale des textes retenue par la Cour de cassation est la bienvenue et autorise en pratique une certaine souplesse dans la rédaction des bordereaux de cession, à condition toutefois que les éléments retenus permettent d'identifier clairement la créance cédée.

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