Le droit de retrait litigieux exercé par la caution dans le cadre de la cession d’un portefeuille de creances

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Chronique juridique de Clément Vandevooghel, avocat au Barreau de Paris, associé chez Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP et Agathe Llorens, avocat au Barreau de Paris.

Dans les cessions de portefeuilles de créances non-performantes, le droit de retrait litigieux représente toujours un risque particulier pour les cessionnaires. Ce droit permet en effet au débiteur d’une créance de se libérer de sa dette, au prix auquel cette créance a été cédée par le créancier initial au cessionnaire.

Ce droit répond néanmoins à des conditions d’exercice très strictes. La chambre commerciale de la Cour de cassation, par un arrêt rendu le 14 février 2024[1], a eu l’occasion d’apporter des précisions sur l’exercice de ce droit par une caution dans le cadre d’une telle cession.

La reconnaissance d’un droit de retrait litigieux au profit de la caution

En l’espèce, par un acte du 21 décembre 2011, un établissement de crédit a consenti un prêt à une société, garanti par le cautionnement d’une personne physique. La société ayant été par la suite placée en procédure de sauvegarde, puis en liquidation judiciaire, la banque a assigné en paiement la caution. Par un jugement rendu le 20 juin 2018, la caution est condamnée à payer une certaine somme à la banque. La caution a fait appel de ce jugement.

Le 3 août 2020, l’établissement de crédit a cédé, à un fonds commun de titrisation, un portefeuille de créances, au sein duquel figurait la créance bénéficiant du cautionnement. Le fonds commun de titrisation cessionnaire étant intervenu volontairement à l'instance d'appel, la caution lui a opposé le droit de retrait litigieux prévu à l'article 1699 du Code civil. Cet article dispose que « celui contre lequel on a cédé un droit litigieux peut s'en faire tenir quitte par le cessionnaire, en lui remboursant le prix réel de la cession avec les frais et loyaux coûts, et avec les intérêts à compter du jour où le cessionnaire a payé le prix de la cession à lui faite »

Le 30 juin 2022, la Cour d’appel de Paris fait droit à la demande de la caution et lui reconnaît la possibilité d’exercer un droit de retrait litigieux.

Le cessionnaire se pourvoit donc en cassation. A l’appui de son pourvoi, le cessionnaire développe trois arguments principaux. En premier lieu, il estime que le droit de retrait litigieux n’est ouvert qu’à la personne contre laquelle on a cédé un droit litigieux, c’est-à-dire le débiteur cédé, et non la caution.

En deuxième lieu, le cessionnaire avance que le retrait litigieux ne pourrait être exercé que par un défendeur à l'instance qui conteste le droit litigieux. Or, selon le cessionnaire, lorsque la cession de la créance litigieuse intervient et que la caution a interjeté appel du jugement l'ayant condamnée à payer, la caution n'est pas défendeur à l'instance d'appel.

En troisième lieu, le cessionnaire considère que le droit de retrait ne peut être exercé lorsque la créance est incluse dans un ensemble de créances cédées pour un prix unique, global et forfaitaire.

Aucun de ces arguments n’a néanmoins été retenu par la Cour de cassation.

Une décision prévisible mais discutable

La décision rendue par la Cour de cassation est prévisible, dans la mesure où elle reprend des solutions qu’elle avait déjà dégagées par le passé.

En effet, la Cour de cassation estime d’abord que « la cession de la créance principale, comprenant aussi, par application de l'article 1692 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016, ses accessoires, emporte au profit du cédant la cession de la créance sur la caution, de sorte que cette dernière peut, lorsqu'elle conteste le droit invoqué contre elle, exercer le droit au retrait litigieux ».

Ainsi, selon la Cour, la créance sur la caution, accessoire à la créance principale cédée, a également fait l’objet de la cession. La caution qui conteste le droit invoqué à son encontre peut donc, d’après la Cour, exercer son droit au retrait litigieux.

La Cour de cassation avait déjà reconnu dans le passé la faculté pour la caution d’invoquer le droit au retrait litigieux [2], la décision de février 2024 est donc conforme à sa jurisprudence antérieure.

Ayant sans doute anticipé cette éventualité, le deuxième argument du cessionnaire portait que le fait que le retrait litigieux ne peut être exercé que par un défendeur à l'instance qui conteste le droit litigieux. Le cessionnaire estime qu’en ayant elle-même interjetée appel du jugement l’ayant condamnée à payer, la caution n’a pas la qualité de défendeur à l’instance d’appel. Il rappelle par ailleurs que, comme l’a énoncé la Cour de cassation par le passé[3], le retrait litigieux est une « institution dont le caractère exceptionnel impose une interprétation stricte ».

Pour autant, la Cour rejette cet argument, considérant que « le débiteur assigné en paiement a la qualité de défendeur au litige et peut donc, s'il conteste le droit du créancier au fond, exercer le droit au retrait prévu à l'article 1699 du code civil, peu important que cet exercice intervienne après que le débiteur a interjeté appel du jugement l'ayant condamné au paiement ».

Ici encore, la décision de la Cour de cassation n’est pas inattendue dans la mesure où la condition de la qualité de défendeur à l’instance de la partie invoquant le retrait litigieux est issue d’une jurisprudence constante[4]. En l’espèce, la Cour considère que la caution avait bien initialement la qualité de défendeur au litige, puisqu’elle a été assignée en paiement par la banque.

Si la reconnaissance de l’exercice du droit au retrait litigieux par une caution, ayant la qualité de défendeur à l’instance, n’est pas nouvelle, la solution dégagée par la Cour de cassation est plus discutable en l’espèce car elle intervient dans un contexte de cession en bloc d’un portefeuille de créances.

En effet, le cessionnaire reproche à la cour d’appel d'avoir admis l'exercice du droit de retrait litigieux alors que, d’une part, celui-ci « ne peut être exercé lorsque la créance est incluse dans la cession d'un ensemble de créances cédée pour un prix global et forfaitaire » et, d’autre part, si l’exercice du droit de retrait litigieux est reconnu dans le cadre de telles cessions « c'est à la condition toutefois que la détermination de son prix soit possible », ce qui pour le cessionnaire est impossible en l’espèce car la créance fait justement partie d’un ensemble de créances.

La Cour de cassation confirme néanmoins que le droit de retrait litigieux peut être exercé même en cas de cession en bloc, à condition toutefois que le prix de la créance soit déterminable.

Si cela n’est pas contestable, la méthode de détermination du prix retenue par les juges du fond, et confirmée par la juridiction suprême, est discutable. En effet, pour déterminer le prix de chaque créance, les juges du fond ont appliqué une méthode purement arithmétique consistant à rapporter le prix total payé par le cessionnaire au nombre de créances cédées.

Or, la cession en bloc porte sur un ensemble de créances, pour lequel un prix unique et global est fixé en tenant compte de l'équilibre du risque et des chances de recouvrement de l’ensemble du portefeuille. Un prix individuel par créance est donc impossible à déterminer et n’a d’ailleurs pas beaucoup de sens, puisque c’est bien l’ensemble du portefeuille qui est valorisé par le cessionnaire, et non chaque créance prise individuellement. La méthode arithmétique utilisée en l’espèce ne permet donc pas de déterminer un prix réaliste pour la créance concernée. En effet, dans le cadre d’une cession en bloc, les créances ont des valeurs très inégales, certaines étant litigieuses ou pas, d’autres étant échues ou non.

Le recours à cette méthode est d’autant plus discutable que le cessionnaire avait en l’espèce présenté des éléments tendant à démontrer une valorisation de la créance proche de sa valeur faciale, compte tenu des garanties attachées à la créance.

Cette décision s’inscrit dans une tendance jurisprudentielle favorable à l’exercice du droit de retrait litigieux. Les cessionnaires de portefeuilles de créances devront donc redoubler de vigilance lors de la valorisation de ces créances.

[1] Cass Com., 14 février 2024, n° 22-19.801.

[2] Cass Com., 12 juillet 2016, n° 14-26.174.

[3] Cass Civ. 1re, 20 janvier 2004, n° 00-20.086.

[4] Voir notamment Cass Civ. 1re, 10 janvier 1967, n° 00-20.086 ou Com., 15 janvier 2013, n° 11-27.298.

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