Location meublée : uniformiser la fiscalité locative pour détendre le marché ?

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Chronique juridique de Stéphanie Hamis, associée, et Pierre Lucas, manager chez Arsene.

En ce moment même, les parlementaires discutent d’un projet de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif. Ce projet de loi, qui s’inscrit dans un contexte plus global de tension du marché immobilier, introduit une réforme importante de la fiscalité de la location meublée qui ne serait que l’amorce d’une refonte plus générale de la fiscalité locative.

Tension locative, une intervention généralisée du législateur

L’objectif premier du projet de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif est clair : réguler les meublés touristiques utilisant des plateformes de type Airbnb.

Dans un contexte d’augmentation des taux et d’accès à la propriété réduit, de tels acteurs ont été identifiés comme des perturbateurs du marché locatif à long terme notamment dans les villes présentant un fort attrait touristique, dont Paris.

Si le projet de loi a été très largement adopté devant l’Assemblée nationale en première lecture, le 29 janvier dernier (100 voix contre 25), il place le gouvernement dans une position délicate. Il doit gérer, d’une part, les contribuables utilisant la location saisonnière comme un élément réel de leur revenu tout en bénéficiant d’une fiscalité avantageuse et d’autre part, les élus des zones touristiques, inquiets de l’aggravation de la crise du logement.

La proposition législative, en cours de discussion devant le Sénat, vise une décentralisation concrète des outils jugés nécessaires à la résolution de la crise au profit des élus locaux. L’idée est de leur conférer un arsenal ayant vocation à permettre une régulation du marché locatif à long terme :

  • Le projet de loi introduit une obligation universelle d’enregistrement des loueurs de meublés de tourisme avec des sanctions renforcées en cas de fausse déclaration.
  • Les communes devraient dorénavant avoir la possibilité d’abaisser le nombre maximal de nuitées de 120 à 90 jours pour l’autorisation conférée à un propriétaire de donner en location saisonnière sa résidence principale.
  • Un encadrement de l’installation des meublés touristiques devrait également être introduit pouvant aller jusqu’à l’obligation de requérir un changement de destination (autorisation d’urbanisme à obtenir auprès de la mairie).

Cette dernière mesure fait notamment écho aux autres pouvoirs confiés aux mairies par l’intermédiaire des PLU. Ils devraient notamment rendre plus efficiente l’application des quotas d’autorisation de changement d’usage limitant la réalisation d’une activité de location meublé touristique et donneront davantage de poids aux PLU restrictifs et contraignants comme celui adopté pour la ville de Paris (PLU Bioclimatique adopté par le conseil de Paris le 5 juin 2023).

Pour rappel, le nouveau PLU de la mairie de Paris (UG.1.3.3 – « Autres hébergements touristiques ») exclut la sous-destination « autres hébergements touristiques » sur les terrains comportant de l’habitation tant pour les constructions neuves que pour certains changements de destination (si la destination initiale est du bureau). Par ailleurs il sera interdit de faire de l’hébergement touristique dans tout un secteur spécifique intégrant la quasi-totalité du cœur de capitale.

En plus de cet encadrement, une refonte de la fiscalité locative est introduite par le projet. Les rédactrices ont indiqué qu’elle ne devait pas être regardée comme étant le point d’entrée de la réforme. Cependant, elle semble en être la clef de voûte et le contribuable la victime collatérale. En effet, le régime fiscal de la location meublée touristique est catalogué de « niche fiscale » qui contribuerait à limiter le nombre de biens en location longue durée et à faire monter les prix de l’immobilier.

La fiscalité, l’arme forte d’un arsenal complet aux services des collectivités

Les mesures fiscales du projet sont doubles et visent à aménager le régime du micro-BIC pour les activités de locations de locaux classés meublés de tourisme (ou non) mais également à lutter contre le régime de la location meublée non-professionnelle (« LMNP »).

Pour les loueurs meublés de tourisme classés, la sanction est double. Le plafond d’application du régime du micro-BIC est abaissé significativement puisqu’il passe de 188.700 € à 30.000 €. Puis, les revenus issus de ces locations ne pourront bénéficier que d’un abattement forfaitaire de 30%, contre 71% auparavant.

La loi de finances pour 2024 avait déjà revu le régime des locations meublées de tourisme non-classées. Son abattement forfaitaire avait été réduit de 50% à 30% alors que le seuil d’application avait été minoré à 15.000 € contre 77.700 €.

Une exception est toutefois prévue pour les locations de meublés de tourisme classés dans des zones rurales. L’idée est de cibler des zones où le marché locatif de tourisme ne fait pas concurrence à celui de la résidence principale. Si la loi de finances a instauré un abattement supplémentaire de 21%, le projet de loi visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif propose 41% tout en augmentant le plafond d’application du micro-BIC. Les communes classées « stations de sports d’hiver et d’alpinisme » pourraient également appliquer ce régime incitatif.

Enfin, le projet de loi prévoit également mettre fin au régime incitatif du LMNP. Aujourd’hui, ce régime permet d’une part d’amortir le bien immobilier pendant la période de détention tout en retenant le prix d’acquisition, sans déduction des amortissements, lors de la cession pour le calcul de la plus-value imposable. Cette proposition est surprenante puisqu’elle semble viser un public beaucoup plus large que le cœur de cible du projet de loi (la location meublée touristique) sans pour autant offrir une solution permettant de résoudre la crise actuelle du logement.

L’idée sous-jacente semble donc claire : aligner l’intégralité des régimes fiscaux des propriétaires donnant leur bien en location pour inciter à la location nue et redynamiser le secteur du logement. Si l’objectif initial est de rendre la fiscalité plus cohérente avec le marché mais également la valeur économique des logements, le législateur tend à la rendre plus déficiente.

Cette uniformisation est d’autant plus préoccupante qu’elle semble déborder sur d’autres impôts ou régimes fiscaux incitatifs, notamment dans le cadre de la loi de finances pour 2024.

A titre d’exemple, les activités de gestion de son propre patrimoine immobilier ne sont plus considérées comme des activités commerciales au regard du pacte Dutreil. La location meublée ou les locations de biens commerciaux ou industriels équipés ne peuvent donc pas bénéficier du régime incitatif de transmission. Le législateur est intervenu pour contrecarrer expressément la jurisprudence résultant d’arrêts récents tant de la Cour de cassation (Cass. com. 1er juin 2023 n°22-15.152) que du Conseil d’Etat (CE 29 septembre 2023 n°473972) qui venaient reconnaître l’éligibilité de certaines activités locatives. Cette position risque d’être la source de contentieux nourris.

Une question demeure : celle de l’application ou non de la TVA. En effet, la loi de finances a modifié le régime TVA de la location para-hôtelière français afin de le mettre en conformité avec la directive européenne TVA à l’issue de l’avis rendu en juillet 2023 par le Conseil d’Etat (CE avis 5 juillet 2023 n° 471877). Néanmoins à date, la réforme ne devrait pas bouleverser la pratique actuelle. La loi de finances introduit une distinction entre les locations de moins de 30 jours et celles de plus de 30 jours mais dans les deux cas, l’application de la TVA est conditionnée à un certain nombre de prestations (i.e., trois sur quatre parmi petit déjeuner, ménage, accueil, et blanchisserie). Les locations courte durée sans prestations de services demeurent donc hors du champ de la TVA.

Mais comment apprécier la nature des prestations de services ? Les commentaires de l’administration fiscale sont attendues à ce titre (quel type d’accueil, facturation distincte ou non des services, etc…) laissant ainsi certains contribuables dans une situation peu claire.

La fiscalité locative, sur de nombreux aspects, est dans l’œil du cyclone. Perçues comme avantage concurrentiel pour certains ou comme la solution à la crise du logement, ces modifications éparses sont également la source d’une confusion nécessitant une attention particulière. Et cette attention devra être redoublée dans la perspective d’une réforme généralisée qui pourrait être attendue dès 2025.

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