Non-respect de la LCB-FT et concurrence déloyale : un critère important pour les investisseurs

  • Publication publiée :15 août 2024
  • Post category:Avis d'expert
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Lorsque l’entreprise ne respecte pas ses obligations en matière de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, elle bénéficie d’un avantage indu et peut voir sa responsabilité civile engager pour concurrence déloyale. Cette décision peut s’appliquer à toutes les obligations de compliance et cela impact fortement les investisseurs. Ils doivent prendre en considération ce risque dès la phase d’audit en sollicitant toutes les informations auprès des entreprises cibles. Chronique juridique de Julie Guénand, avocate en défense pénale et éthique des affaires. Avis d'expert déjà publié le 6 février 2024.

L’arrêt du 27 septembre 2023 marque un tournant crucial dans le paysage juridique de la conformité en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme et de concurrence déloyale, mais plus largement en matière de juridictionnalisation de la compliance.

Cette décision judiciaire a des répercussions non seulement profondes pour les entreprises, mais aussi pour les investisseurs. Dans un environnement économique où la transparence et la conformité réglementaire sont de plus en plus scrutées, comprendre l’impact de cet arrêt devient essentiel pour les investisseurs.

Ceux-ci doivent désormais naviguer avec prudence, évaluant les risques liés à la non-conformité des entreprises dans leurs stratégies d’investissement.

LCB-FT et concurrence déloyale

L’arrêt du 27 septembre 2023 de la chambre commerciale de la Cour de cassation[1] résonne particulièrement auprès des investisseurs. Cette décision judiciaire met en exergue les conséquences significatives de la non-conformité aux normes de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme pour les entreprises assujetties et par extension pour les investisseurs qui les financent.

Dans cette affaire, une société du secteur bancaire 1 assignait une société concurrente 2 devant le Tribunal de commerce de Marseille sur le fondement de l’article 145 du Code de procédure civile pour obtenir le dépôt des comptes sociaux.

En défense, la société 2 faisait valoir que la société 1 n’avait pas respecté la réglementation bancaire en vigueur et que cela constituait une concurrence déloyale lui causant un préjudice. Elle sollicitait donc, à titre reconventionnel, la communication des pièces comptables et administratives pour chiffrer le préjudice.

Les juges du fond faisaient droit aux demandes de la société 2 et déboutaient la société 1, ce pourquoi cette dernière se pourvoyait en cassation. Elle considérait en effet que le non-respect des dispositions relatives à la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme ne permettait pas d’engager sa responsabilité civile dès lors que l’intérêt protégé était général et non privé.

La Cour de cassation décidait que les obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme représentaient un coût important pour les assujettis et que le non-respect de celles-ci permet à une entreprise de bénéficier d’un avantage concurrentiel indu par rapport à ses concurrents. Cela signifie que celui qui ne respecte pas ses obligations fait de la concurrence déloyale à ceux qui les respectent.

Cela signifie donc que chaque assujetti aux obligations de lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme peut engager la responsabilité civile et obtenir des dommages et intérêts des concurrents ne respectant pas leurs obligations.

Violation des dispositions légales et concurrence déloyale

Si cette décision de la Cour de cassation semble innovante, elle vient en réalité compléter des solutions équivalentes. La Cour d’appel de Pau précisait en effet que « il est constant qu’un manquement à une obligation légale par une entreprise, ainsi que le non-respect d’une réglementation, peuvent constituer une faute justifiant une condamnation pour concurrence déloyale, en ce que ce comportement perturbe le marché de par la situation plus favorable dans laquelle cette entreprise se trouve par rapport à celles qui respectent la réglementation »[2].

Des décisions similaires étaient prises en matière de réglementation administrative[3], d’occupation du domaine public[4], de réglementation sur les délais de paiement interentreprises[5] ou de RGPD[6].

Au-delà de la lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, cette jurisprudence pourrait s’appliquer à toutes les dispositions en matière de compliance, qu’il s’agisse du RGPD, ce qui est déjà le cas, de Sapin II, du devoir de vigilance, du CSRD, etc., dès lors que l’ensemble de ces obligations de conformité induisent la mobilisation de moyens humains, matériels et financiers.

Il est donc loisible à chaque entreprise d’engager la responsabilité de ses concurrents pour concurrence déloyale lorsque cela lui cause un préjudice.

L’importance de cette décision pour les investisseurs

L’arrêt du 27 septembre 2023 a fondamentalement modifié la façon dont les investisseurs perçoivent et évaluent les risques liés à la non-conformité en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme. Cette décision souligne le fait que l’ignorance des obligations peut avoir des conséquences juridiques et financières majeures, non seulement pour les entreprises concernées, mais aussi pour les investisseurs.

Cet arrêt influence donc les décisions des investisseurs à la suite de l’évaluation des risques liés à la compliance des entreprises dans lesquelles ils envisagent d’investir. Les investisseurs doivent se pencher plus attentivement sur les pratiques compliance des entreprises, et doivent les pousser à adopter une approche plus rigoureuse dans leur due diligence.

Ils doivent donc faire évoluer leurs critères d’investissement et doivent davantage prendre en considération le risque lié à une procédure en concurrence déloyale. Cela implique d’examiner les politiques et procédures internes, les audits passés et les signalements.

Les risques se manifestent sous plusieurs formes :

  • Les risques juridiques : les entreprises non conformes s’exposent à des sanctions telles que des amendes ou des restrictions opérationnelles qui peuvent directement affecter la rentabilité et la viabilité des entreprises.
  • Les risques financiers : la non-conformité peut entrainer une dévaluation des actifs de l’entreprise, affectant négativement la performance des investissements, ainsi que l’entrave à la passation de marchés publics ou privés liés aux critères.
  • Les risques réputationnels : les entreprises prises en défaut de conformité peuvent subir des dommages au niveau de leur réputation, ce qui peut affecter leur capacité à attirer des investisseurs, des clients, des partenaires et des talents.

Pour pallier ces risques, les investisseurs peuvent se faire accompagner d’avocats ou d’experts de la compliance pour auditer l’entreprise cible puis pour mettre en conformité l’entreprise une fois l’investissement réalisé.

[1] Cass, com, 27 septembre 2023, n° 21-21.995

[2] CA Pau, 31 janvier 2013, n° 13/00370

[3] Cass, com, 21 janvier 2014, n° 12-25.443

[4] Cass, com, 16 mars 2022, n° 20-22.022

[5] Cass, com, 15 janvier 2020, n° 17-27.778

[6] Tribunal d’instance, 15 avril 2022, n° 19/12628

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