La Bourse paneuropéenne appelle Bruxelles à ouvrir le marché de la cotation et de la conservation des émissions NextGenerationEU, jusqu’à présent confiées à la Bourse de Luxembourg et à Clearstream. Désormais propriétaire de la plate-forme de négociation MTS, Euronext met en avant sa capacité à dynamiser le marché secondaire pour convaincre la Commission européenne d'utiliser sa gamme de services. La Bourse de Luxembourg joue la carte de la légitimité historique.
Euronext veut prendre toute sa place dans l’écosystème des obligations de la Commission européenne, tant dans les aspects de négociation, de conservation que de cotation.
L’enjeu est bien sûr économique puisque NextGenerationEU (NGEU), le plan de relance destiné à sortir l’Europe de la crise sanitaire, sera financé d’ici 2026 par quelque 800 milliards d’euros d’émissions, dont 30% d’obligations vertes. Débutées en juin, les opérations seront déployées à hauteur d’environ 150 milliards d’euros par an, par voie de syndication ou d’adjudication.
Mais ces emprunts, réalisés par la branche exécutive de l’Union européenne, revêtent également une dimension stratégique et marketing pour les entreprises de marché. En témoigne la communication appuyée de la Bourse de Luxembourg, où les titres NGEU sont pour l’instant listés, à l’occasion de la cotation des tout premiers green bonds européens mardi dernier. Compter la Commission européenne parmi ses clients, c'est bénéficier d'une référence de premier ordre pour convaincre les nombreux émetteurs privés d'obligations internationales.
Premier ministre Xavier Bettel
La très symbolique “Ring the bell ceremony” s’est déroulée au Grand-Duché en présence du commissaire européen au Budget et à l'Administration, l'Autrichien Johannes Hahn mais aussi de Xavier Bettel, le Premier ministre luxembourgeois en personne. C’est habituellement le ministre des Finances, Pierre Gramegna, qui représente le gouvernement pour ce type d'événement.
Pour transmettre son message et marquer son territoire, la Bourse de Luxembourg a multiplié les tweets et les retweets.
Today, @JHahnEU and I 'rang the bell' at the @LuxembourgSE, celebrating the listing of the very first #NextGenerationEU Green Bond.
I am proud of my country for being at the forefront of #GreenFinance, and thus contributing to a sustainable recovery in Europe and beyond. 🇱🇺🇪🇺 pic.twitter.com/8fnmm2IcGi— Xavier Bettel (@Xavier_Bettel) October 19, 2021
The @LuxembourgSE is an important partner for us. All of our bonds are listed here. With the issuance of the #NextGenerationEU #GreenBond our partnership continues to grow with the @LuxembourgSE being a hub for sustainable finance. 3/3
— Johannes Hahn (@JHahnEU) October 19, 2021
Euronext, qui présente son plan stratégique 2024 le mois prochain, n'entend pas jouer les spectateurs sur ces sujets. Depuis plusieurs mois, la Bourse paneuropéenne s'est engagée dans une campagne d'influence et de défense de ses intérêts auprès de plusieurs commissaires européens pour franchir un palier décisif sur le marché obligataire européen. L'opérateur de marché, qui gère les Bourses d'Amsterdam, Bruxelles, Dublin, Lisbonne, Oslo, Paris et désormais Milan, présente à l’institution européenne toute la panoplie des services qu’elle peut mettre à sa disposition pour l’inciter à diversifier ses partenaires.
Union des marchés de capitaux
“Le plan NGEU (...) change la donne pour l'Europe, non seulement par sa nature mais aussi par son ampleur. Les décisions prises sur la manière de le mettre en œuvre auront un impact majeur sur la réalisation d'autres objectifs de politique publique, notamment dans le contexte de l'Union des marchés des capitaux”, affirme Euronext.
“Alors qu'aujourd'hui, la cotation et l'émission des obligations de la Commission européenne sont assurées par deux opérateurs historiques, la Bourse de Luxembourg et Clearstream (une filiale de Deutsche Boerse établie au Luxembourg, ndlr), cette activité devrait être ouverte à la concurrence”, poursuit la Bourse dans son plaidoyer.
En alternative de place de cotation, Euronext propose la Bourse de Dublin, désormais intégrée à la Bourse paneuropéenne et principale concurrente de Luxembourg dans le listing des obligations internationales. Pour la conservation et le règlement-livraison des titres, elle plaide en faveur de Monte Titoli, le dépositaire central de titres (CSD) de Borsa Italiana, à même de remplacer ou de compléter Clearstream.
Liquidité des titres
Pour renforcer son argumentation, la Bourse paneuropéenne promet à la Commission une amélioration du fonctionnement du marché secondaire, que ses fournisseurs actuels ne peuvent lui offrir.
“Euronext est particulièrement bien placée (...), notamment depuis l'acquisition de Borsa Italiana (...). La Commission pourrait promouvoir la liquidité des obligations NGEU en s'appuyant sur les services de MTS, la principale plateforme européenne de négociation obligataire”, poursuit-elle.
Le raisonnement a été repris la semaine dernière par Fabrizio Testa, PDG de MTS et pressenti pour prendre la tête de la Bourse de Milan dans quelques semaines, lors d'une interview à Reuters.
“MTS a offert à la Commission européenne de lui fournir son infrastructure de marché, ses données et ses rapports sur l'activité des primary dealers. La plate-forme de négociation, propriété de Borsa Italiana, peut aussi servir à la Commission européenne dans le cadre de la gestion de sa dette pour organiser des rachats et des échanges de titres”, a avancé Fabrizio Testa.
Dans l'intérêt du contribuable européen
Les primary dealers sont les établissements habilités à souscrire aux émissions sur le marché primaire. 39 contreparties bancaires, dont cinq françaises, ont été désignées par la Commission européenne début juin.
Améliorer l’efficience du marché secondaire et la liquidité des obligations NGEU en renforcerait l’attrait auprès des investisseurs. De quoi réduire les coûts d’émission dans l’intérêt de l’emprunteur et, au final, du contribuable européen.
"Les nouvelles obligations de l'UE sont déjà négociées sur MTS, mais l'introduction d'incitations pour que les primary dealers négocient continuellement les obligations sur une plateforme réglementée comme la nôtre ferait vraiment la différence", a insisté Fabrizio Testa.
"Pour l'instant, le dialogue avec la Commission européenne est ouvert. Nous espérons qu'une décision sera prise au début de l'année prochaine", a-t-il précisé.
A cette offre complète du groupe Euronext, la Bourse de Luxembourg, qui a choisi de vivre sa vie en solo, oppose sa légitimité historique:
45% de parts de marché
“La Bourse de Luxembourg est la première place de cotation pour les titres de créance internationaux. D'après les chiffres du fournisseur de données Dealogic, elle détient une part de marché de 45 % en 2021 pour les titres internationaux émis par des émetteurs souverains, supranationaux et les agences (SSA). La Bourse sert environ 120 émetteurs SSA et entretient des relations de longue date avec les institutions et agences européennes telles que la BEI (Banque Européenne d’Investissement), l'ESM (European Stability Mechanism) et l'UE. Élément supplémentaire : les obligations émises par l'UE dans le cadre du programme d'émission de la dette de l'UE sont actuellement régies par le droit luxembourgeois”.
Avec l'administration des fonds d'investissement, le listing des obligations internationales fait partie des piliers de la place de Luxembourg.
Les premiers eurobonds de l'histoire avaient été listés dès 1963 à la Bourse de Luxembourg par l’opérateur autoroutier italien Autostrade. Une transaction libellée en dollars souvent citée comme fondatrice pour le développement de la place financière du Grand-Duché.