La Commission Européenne vient de publier une consultation sur le cadre de la titrisation, qui s'inscrit dans une réflexion sur la relance de cette technique financière en Europe, comme l'ont proposé les rapports Noyer et Draghi. Chronique juridique de Clément Vandevooghel et Gilles Saint Marc, avocats au Barreau de Paris, associés chez Kramer Levin Naftalis & Frankel LLP.
La Commission Européenne a publié le 9 octobre une consultation ciblée sur le fonctionnement du cadre européen relatif à la titrisation. La réponse des acteurs du marché à cette consultation est attendue pour le 4 décembre. En France, cette réponse s’effectuera notamment sous l’égide de la commission Titrisation de Paris Europlace. Cette consultation s’inscrit dans une réflexion plus globale de relance du marché européen de la titrisation, telle que proposée notamment par le rapport Noyer "Développer les marchés de capitaux européens pour financer l’avenir" publié en avril 2024, ou par le rapport Draghi sur le "Futur de la Compétitivité européenne" publié en septembre 2024, et vise à améliorer et à augmenter la capacité du secteur bancaire à financer l’économie réelle, tout en préservant la stabilité financière.
La relance du marché européen de la titrisation suppose de travailler à la fois sur une modification ou un ajustement des exigences prudentielles applicables aux investisseurs (banques, assureurs ou fonds de pension) pour certains actifs titrisés afin de refléter le risque réel de ces actifs, mais également sur le champ d’application du cadre juridique européen applicable à la titrisation, ou encore sur un certain nombre d’exigences de transparence et de diligence applicables aux investisseurs professionnels.
Sur ces différents sujets, la Commission Européenne avance un certain nombre de propositions qui sont donc soumises aux commentaires des acteurs de marché.
1-Un champ d’application du Règlement Titrisation à redéfinir
Comme l’a rappelé la Commission Européenne dans son rapport du 10 octobre 2022 sur le fonctionnement du Règlement Titrisation, cette règlementation est principalement fondée sur des activités, et non une réglementation portant purement sur des produits. De ce fait, le Règlement Titrisation ne distingue pas les titrisations de l’Union Européenne des titrisations dans lesquelles l’une des parties est établie dans un pays tiers. Malgré les éclaircissements apportés par la Commission dans son rapport de 2022, le fait qu’une ou plusieurs parties à une opération soient établies dans un pays tiers continue de soulever des questions sur la manière dont les parties à l’opération établies dans l’UE remplissent en pratique les exigences du régime de l’UE.
A ce titre, la Commission propose notamment de préciser dans le Règlement Titrisation que celui-ci s’appliquerait à toute titrisation dans laquelle au moins une partie est établie ou autorisée dans l’UE, et de clarifier que cette entité serait en charge de remplir les obligations au titre du Règlement Titrisation (conservation du risque, entité déclarante, vérification des critères d’octroi de crédit).
S’agissant de la rétention du risque notamment, cette proposition risque toutefois de recevoir un accueil mitigé dans la mesure où le rétenteur du risque devrait être une entité exerçant un contrôle réel sur le portefeuille titrisé et ayant un intérêt dans celui-ci, peu important que le rétenteur soit ou non établi dans l’UE. En revanche, il conviendrait probablement que le rétenteur établi en dehors de l’UE puisse remplir son obligation de rétention selon les normes applicables dans sa propre juridiction, et non selon les normes applicables dans l’UE. L’alignement des intérêts entre le vendeur et l’investisseur serait ainsi respecté.
En outre, la définition même de titrisation est sujette à discussion. La Commission s’interroge ainsi sur la possibilité d’étendre le champ d’application du Règlement Titrisation à toute opération qui pourrait être considérée comme une titrisation d’un point de vue économique, ou au contraire d’exclure du champ d’application certaines transactions (notamment les opérations qui seraient dé-risquées (par l’octroi d’une tranche equity) par des institutions européennes ou nationales).
D’autres ajustements pourraient utilement être apportés au Règlement Titrisation, notamment étendre la définition de sponsor aux sociétés de gestion de FIA établies dans l’UE (aujourd’hui limitée aux seuls établissements de crédits (UE et hors UE) et entreprises d’investissement de l’UE). Cela permettrait ainsi de structurer certaines opérations de manière plus efficiente. Mais cela supposerait peut-être également de revoir certaines exigences en capital pour les sociétés de gestion qui souhaiteraient remplir l’obligation de rétention du risque.
2-Redéfinir les exigences de transparence et de diligence applicables aux investisseurs professionnels
L’article 5 du Règlement Titrisation prévoit que les investisseurs institutionnels, avant d’investir dans une titrisation, doivent vérifier que les informations requises par l’article 7 dudit règlement ont été mises à disposition en respectant la fréquence et les modalités prévues.
En pratique, un grand nombre d’acteurs soutiennent le fait que ces exigences de transparence devraient être plus proportionnées et moins prescriptives, notamment dans le cadre de titrisations privées ou dans le cadre de titrisations dites intra-groupe (sans investisseur externe). En effet, les investisseurs dans les opérations privées peuvent demander et recevoir en permanence les informations sur mesure dont ils ont besoin de la part du vendeur participant à l’opération. Il semble donc utile et nécessaire d’alléger les exigences de transparence associées aux opérations privées. Les exigences de transparence pourraient ainsi varier selon le risque des actifs sous-jacents, selon la position senior ou non de l’investissement ou encore selon le statut STS ou non de l’opération.
Par ailleurs, pour les investissements dans des titrisations de pays tiers dans lesquels aucune des parties côté vente n’est établie dans l’UE, la question se pose de savoir si ces investissements sont admissibles uniquement si les informations visées à l’article 7 sont fournies au moyen des modèles de l’ESMA et, dans le cas de titrisations publiques, d’un référentiel de titrisations. Cette interprétation stricte de l’article 5 du Règlement Titrisation empêcherait les investisseurs institutionnels de l’UE d’investir dans des titrisations de pays tiers qui ne remplissent pas ces conditions. Afin de résoudre ce sujet, il pourrait être utilement précisé dans le Règlement Titrisation que l’investisseur dans une titrisation de pays tiers doit vérifier s’il dispose de l’information suffisante afin de mener à bien ses diligences au titre de l’article 5, sans pour autant contraindre l’investisseur à respecter les modèles de l’ESMA qui ne s’appliquent pas aux parties qui ne sont pas établies dans l’UE.
La consultation initiée par la Commission Européenne était attendue par les acteurs de marché. Espérons désormais que les souhaits du marché pour une titrisation plus efficiente soient entendus.