Crédit à la consommation, crédit immobilier : quelle est l’origine de la hausse du surendettement ?

  • Publication publiée :22 avril 2024
  • Post category:Avis d'expert
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Tiphaine Saltini (Neuroprofiler)

Le surendettement repart à la hausse en France. Afin de mieux protéger les consommateurs, l’Union Européenne a renforcé fin 2023 sa directive sur le crédit à la consommation. Mais le texte n'attache pas assez d'importance à l'éducation financière. Chronique juridique de Tiphaine Saltini, directrice générale de Neuroprofiler.

Inflation, hausse des taux d’intérêts, baisse du pouvoir d’achat… La dégradation de la conjoncture économique continue de peser sur les ménages français.

Selon le baromètre de l'inclusion financière de la Banque de France d’avril 2024, les Français sont de plus en plus nombreux à ne plus pouvoir rembourser leurs dettes.

Alors qu’il était en baisses ces dix dernières années, le nombre de dossiers de surendettement déposés à la Banque de France a augmenté de 8% entre 2022 et 2023. Au premier trimestre 2024, 35.690 dossiers ont été déposés, un chiffre en hausse de 17 % sur un an.

Dans un contexte économique complexe, cette hausse du surendettement des ménage affecte également d’autres pays européens, comme la Belgique ou le Luxembourg.

Le crédit à la consommation, principale cause de la hausse du surendettement

Malgré le récent durcissement des conditions d’accès au crédit à la consommation, il représente 40 % de l’endettement global, en hausse de 2% par rapport à 2022. 72 % des dossiers sont concernés par ce type de crédit, pour un montant moyen de 22 866 €.

Au contraire, l’encours des dettes immobilières a baissé de 9 % sur cette période et représente 27% de l’endettement global. Seulement 10% des dossiers comportent une dette immobilière.

Ainsi, la dynamique des nouveaux crédits à l’habitat n’a pas provoqué, pour le moment, des situations de surendettement.

Il semble donc que ce soit plutôt les prêts court terme, sujets à beaucoup plus de biais cognitifs et de problème d’éducation financière, qui soient à l’origine de cette hausse du surendettement.

Le surendettement affecte particulièrement les populations fragiles

Par ailleurs, ce surendettement touche principalement les populations fragiles et moins éduquées. 69% des dossiers concernent des personnes avec un niveau de vie inférieur au SMIC. 76% sont locataires. 58% sont en situation de pauvreté. 56% sont dans des situations d’isolement (veuf(ve), séparé(e), divorcé(e)…). Une légère majorité des dossiers (54%) concernent des femmes.

Afin de mieux protéger les consommateurs et lutter contre cette situation de surendettement, l’Union Européenne a renforcé fin 2023 sa directive sur le crédit à la consommation.

La révision de la directive européenne sur le crédit pour mieux protéger les consommateurs

Publiée dans sa première version en 1987, cette directive est devenue de plus en plus stricte ces dernières années sur les sujets de transparence, d’information ou encore de conditions d’accès au crédit à la consommation avec différentes révisions en 2008, 2011 et 2014.

La dernière révision de fin 2023, fruit de nombreuses années de négociation entre Etats Membres, vise plus particulièrement à lutter contre le surendettement, à clarifier certains articles de la directive précédente et à s’adapter aux nouvelles pratiques du marché (paiement différé ou fractionné, numérisation des process, utilisation de l’intelligence artificielle, financement participatif…).

Plus particulièrement, elle implique :

  • Des exigences plus strictes pour les prêteurs en matière de transparence, d’équité, de lisibilité de l’information, ainsi que sur les conditions de solvabilité nécessaires à l’obtention d’un crédit. Par exemple, si un consommateur se voit refuser un crédit en raison de ses capacités financières, il doit être orienté vers un centre de conseil pour l’aider à mieux gérer son surendettement. Autre exemple : l’information sur les conditions de crédit doit être claire et lisible y compris sur les téléphones portables qui sont de plus en plus utilisés pour la souscription de crédit en ligne.
  • L’extension de la directive à de nouvelles formes de crédits, comme des contrats de crédit de moins de 200 euros, certaines formes de dépassement, ainsi que des facilités de découvert.
  • Des exigences pour les Etats Membres d’assurer une éducation budgétaire et financière à leurs citoyens, en les sensibilisant notamment sur les risques de défaut de paiement et de surendettement. L’objectif est de « renforcer les connaissances des consommateurs en matière d’emprunt responsable et de gestion de l’endettement, en particulier en ce qui concerne les contrats de crédit aux consommateurs, et de gestion générale d’un budget ». Par exemple, cette éducation financière peut prendre la forme de publications de bonnes pratiques pour mieux gérer son épargne, ou de guides sur le processus d’octroi de crédit. Cette éducation est particulièrement importante pour les consommateurs qui souscrivent à un crédit pour la première fois.

La directive, publiée fin 2023, devrait être appliquée par les Etats Membres d’ici fin 2025.

Les limites de cette nouvelle directive : le sujet de l’éducation financière

Si la révision de cette directive va dans le sens de l’évolution des pratiques numériques en matière de crédit à la consommation, elle reste encore légère sur le sujet clé de l’éducation financière, à l’origine de la plupart des cas de surendettement.

Tout d’abord, l’obligation d’éducation budgétaire incombe aux Etats Membres uniquement, alors qu’il serait beaucoup plus pertinent qu’elle le soit pour les organismes de crédits. En effet, c’est au moment de contracter un crédit que le consommateur a le plus besoin d’être éduqué, moment lors duquel l’organisme de crédit est beaucoup plus à même d’intervenir que l’Etat Membre.

Par ailleurs, le format d’éducation budgétaire proposé par la directive est la simple publication de bonnes pratiques et de conseils. Cela prend principalement la forme de sites web d’information financés par les Etats Membres comme La finance pour tous en France ou Letzfin au Luxembourg.

Si ces sites ont le mérite d’exister et d’offrir un riche contenu sur le sujet, ils sont principalement accessibles aux consommateurs qui ont du temps, qui ont une certaine éducation leur permettant de lire des articles détaillés, et surtout qui font eux-mêmes la démarche d’aller se former en ligne.

Or, comme le montrent les statistiques de la Banque de France, les personnes en situation de surendettement restent des personnes fragiles qui n’ont pas toujours un niveau d’éducation suffisant pour aller chercher l’information sur ce type de site.

Pour pallier ce problème, certains Etats Membres ont commencé à explorer d’autres approches. Par exemple, en France, quelques heures d’éducation budgétaire sont devenues obligatoires au collège. En Italie, des autorités financières comme la Consob ou la Banque d’Italie mènent des travaux de recherche sur l’utilisation de la gamification et de l’edutainment pour améliorer l’éducation financière des citoyens.

Ces recherches vont dans le sens de celles menées plus généralement en sciences pédagogiques, qui promeuvent une éducation active, via des jeux et des exercices, disponible au moment de la prise de décision (dans le cas présent, au moment de la souscription de crédit), et dans un format flexible (numérique et présentiel).

Ces résultats de recherche devraient idéalement être intégrés dans une prochaine directive pour promouvoir une éducation budgétaire ludique et accessible à tous afin de lutter efficacement contre le surendettement des ménages en Europe.

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