Directive DAC8 : quand la transparence fiscale s’attaque au monde des crypto-actifs

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Charline Pham, collaboratrice et Stéphanie Hamis, associée chez Arsene.

Chronique juridique de Stéphanie Hamis et Charline Pham, associée et collaboratrice au sein du cabinet Arsene.

Le 16 mai, le Conseil de l’Union Européenne a adopté le règlement MiCA (1) visant à établir un cadre réglementaire commun permettant de protéger les investisseurs et d’assurer une certaine stabilité du marché crypto. Comme nous l’avions évoqué dans un précédent article, ce règlement a renforcé et élargi le sceptre de l’obligation d’agrément des prestataires de services sur actifs numériques.

Toutefois, l’Union Européenne n’entend pas s’arrêter à l’aspect réglementaire des activités de crypto-actifs. Les échanges étant entièrement dématérialisés et emprunts d’anonymat, la transparence fiscale est également devenue un enjeu pour les Etats membres.

En août 2022, l’OCDE a été la première à se saisir de cette question afin de fournir un cadre mondial permettant l’échange automatique des informations fiscales attachées à ces activités nouvelles. Aujourd’hui, c’est aux Etats membres de l’Union Européenne de s’organiser pour s’assurer la possibilité de capter les recettes fiscales liées aux transactions sur crypto-actifs et de lutter contre la fraude et l’évasion fiscales.

OCDE : les travaux fondateurs du CARF (« Crypto Asset Reporting Framework »)

En octobre 2022, l’OCDE présentait les conclusions de son rapport CARF visant à permettre aux Etats signataires de bénéficier d’un canevas de règles communes concernant l’échange automatique de renseignements sur les crypto-actifs.

L’objectif est de proposer un système s’inspirant de celui de la « Norme Commune de Déclaration » aussi appelé « CRS - Common reporting standards » qui permet aux Etats de disposer d’informations sur la détention et les revenus d’actifs financiers par leurs résidents fiscaux auprès d’institutions financières étrangères.

Le rapport CARF propose de mettre à la charge des prestataires de services sur crypto-actifs l’obligation annuelle de communiquer certaines informations sur les échanges entre crypto-actifs et monnaies ayant cours légal (2), les échanges de crypto-actifs et les transferts de crypto-actifs de compte à compte.

On notera que le périmètre des opérations sur crypto-actifs à déclarer est très large dans la mesure où il a été déterminé sur la base d’un critère lié à la technologie ayant servi à générer l’actif ou le flux : la cryptographie. Cela inclut donc, contrairement à de nombreux dispositifs normatifs, les NFT (3) ou encore les produits dérivés.

S’agissant des débiteurs de ces nouvelles obligations déclaratives, il a été convenu que ces dernières pèseraient sur toutes entités ou personnes physiques qui, en qualité d’entreprise, fournissent des services sous la forme de transactions d’échange de crypto-actifs concernés, pour ou au nom de clients (4). Ainsi, tout intermédiaire devrait être considéré comme assujetti à ces obligations déclaratives.

Ces prestataires et intermédiaires devront annuellement collecter et déclarer les renseignements suivants : identité, numéro d’identification fiscale (NIF) des clients / utilisateurs des services et reporter le montant des transactions ventilés par type de crypto-actifs ainsi que par types de transactions visées par l’obligation déclarative.

Ces règles ont vocation à faire l’objet d’un accord-cadre multilatéral. Les Etats signataires devraient par la suite transposer ces règles dans leur droit interne. Aucune date précise d’entrée en vigueur n’est annoncée, d’autant que le développement d’outils informatiques permettant l’échange d’information devrait être étudié.

Toutefois, il semble que l’Union Européenne entend passer à la vitesse supérieure à son niveau en mettant en place une réglementation dont l’entrée en vigueur serait prévue dès janvier 2026.

DAC8 : l’échange automatique d’informations entre les Etats membres de l’UE

La Directive DAC est relative à la coopération administrative dans le domaine fiscal entre les Etats membres. Elle intègre notamment les modalités des échanges automatiques d’informations. Apparue en 2011, elle a fait l’objet de plusieurs révisions rendues notamment nécessaires par le développement des activités en ligne. Ainsi, la dernière en date, entrée en vigueur en 2021, portait sur l’échange des informations nécessaires à la soumission à l’impôt des revenus générés au travers des plateformes numériques telles qu’Airbnb, Uber et autres plateformes de services.

Le 8 décembre dernier, la Commission européenne a soumis une nouvelle proposition de modification de la Directive, DAC8, prévoyant notamment de nouvelles règles en matière de transparence fiscale dans le secteur des crypto-actifs.

L’objectif de cette directive consiste à améliorer la capacité des Etats membres à recouvrer l’impôt sur ces revenus dont il est à ce jour difficile de suivre les mouvements. Les rapports préparatoires de la Directive identifient un enjeu fiscal de l’ordre de 1,7 milliards d’euros.

Dans un objectif affiché de cohérence, ce projet de Directive s’appuie et renvoie directement au règlement MiCA notamment en ce qui concerne le champ d’application des obligations déclaratives.

Cependant, DAC8 vise un public plus large s’agissant des prestataires de services soumis à l’obligation de reporting.

Sont visées toutes personnes morales ou entreprises dont l’occupation ou l’activité consiste à fournir un ou plusieurs services sur crypto-actifs à des tiers à titre professionnel, et qui sont autorisées, dans un Etat membre, à fournir des services sur crypto-actifs conformément au règlement MiCA.

Néanmoins, les commentaires de la proposition de directive précisent que sont également visés les opérateurs de crypto-actifs non établis dans l’UE ayant des utilisateurs non sollicités résidant dans l’UE ainsi que les opérateurs intervenant dans la négociation de jetons non fongibles (ce qui inclus les NFT) (5). Les opérateurs non soumis à l’agrément devront suivre une procédure de déclaration afin d’être en mesure des souscrire aux obligations déclaratives décrites ci-après.

De manière similaire aux travaux « CARF » de l’OCDE, les éléments à collecter et à déclarer porteront sur les éléments suivants :

  • Informations relatives à la résidence fiscale via un mécanisme d’auto-certification de la part de l’utilisateur individuel ;
  • Caractéristiques des échanges et transferts de crypto-actifs bénéficiant à un utilisateur permettant d’identifier le montant annuel des transactions et le type de crypto-actifs concernés.

Les prestataires concernés seront d’ailleurs tenus d’informer leurs clients de la nature des informations divulguées.

A titre de mesure de simplification, il est prévu que ces informations ne soient communiquées qu’à un seul Etat centralisateur et non aux Etats de résidence de chaque utilisateur. Il s’agira de l’Etat dans lequel le prestataire a obtenu son agrément ou à défaut au choix du déclarant dans l’Etat où il se sera enregistré.

L’échange automatique des informations collectées entre les Etats membres devrait intervenir par l’intermédiaire d’un réseau commun de communication similaire à celui existant pour identifier les dispositifs transfrontières présentant certains marqueurs relatifs à un risque de fraude ou d’évasion fiscales mis en place dans le cadre de la Directive DAC6.

DAC8 prévoit également la mise en place de mesure de contrôle du respect de ces obligations déclaratives mises à la charge des prestataires. Les sanctions envisagées en cas d’absence de déclaration après deux rappels ou en cas de fausses déclarations pourront atteindre 500 000 euros.

Le Conseil Ecofin a approuvé la proposition DAC8 le 16 mai. Les prochaines étapes avant l’entrée en vigueur du texte devraient être la soumission à l’avis consultatif du Parlement ainsi que l’accord du Conseil de l’UE. L’objectif revendiqué à maintes reprises étant de procéder aux premières déclarations en 2027 au titre des opérations réalisées en 2026. Les prestataires de services concernés devront donc pour un grand nombre d’entre eux être mesure de mener de front leur demande d’agrément auprès de l’AMF et l’intégration des procédures leurs permettant de collecter les éléments requis par la Directive DAC8.

(1)Règlement du Parlement européen et du Conseil sur les marchés de crypto-actifs, et modifiant les règlements (UE) n° 1093/2010 et (UE) n° 1095/2010 et les directives 2013/36/UE et (UE) 2019/1937.

(2)Monnaies fiduciaires.

(3)NFT : Non Fungible Token sont des certificats de propriété portant sur divers objets numériques.

(4)Cadre de déclaration des crypto-actifs et modifications de la Norme Commune de déclaration, OCDE, 26 août 2022, page 13.

(5)Proposition de directive du Conseil modifiant la directive 2011/16/UE relative à la coopération administrative dans le domaine fiscale du 8 décembre 2022, exposé des motifs, page 13.

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