Révision du Règlement EMIR : vers une plus grande attractivité des chambres de compensation de l’Union européenne ?

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S’inscrivant dans l’initiative de l’Union européenne de création d’une Union des Marchés de Capitaux (UMC), la troisième révision du Règlement (UE) n° 648/2012 sur les produits dérivés de gré à gré, les contreparties centrales et les référentiels centraux (« Règlement EMIR ») s’attaque à l’épineuse question de la compensation des dérivés en taux euro en tentant d’assurer la souveraineté des chambres de compensation situées dans l’Union européenne. Etat des lieux d’un sujet financier fortement médiatisé des deux côtés de la Manche. Chronique juridique par Sébastien Praicheux, docteur en Droit, avocat à la Cour, associé, Norton Rose Fulbright LLP et Clémence Durand, avocate à la Cour, Norton Rose Fulbright LLP[1]

La crise financière de 2008 a permis de mettre en évidence le risque de contrepartie dans les dérivés conclus de gré à gré, ou over-the-counter (OTC), et ses potentielles implications pour l’ensemble du système financier. En réaction à cette crise, l’Union européenne (UE) a adopté le Règlement EMIR (European Market Infrastructure Regulation), visant à mettre en application les mesures phares des accords de Pittsburg de septembre 2009. L’objectif affiché par le régulateur européen était alors de rendre le marché des produits dérivés plus efficace, sûr et solide ; l’obligation de compensation centrale auprès des chambres de compensation (contreparties centrales sous le Règlement EMIR) fut l’une de ces mesures.

90% des dérivés de taux d’intérêt en euro à Londres

Depuis son adoption en 2012, le Règlement EMIR a fait l’objet de débats et de révisions, en particulier dans le contexte du Brexit. En effet, Londres continue d’occuper une place centrale dans la compensation des dérivés de taux d’intérêt en Europe, y compris en euro. A titre d’exemple, LCH Clearnet Ltd, une chambre de compensation située à Londres, est en charge de la compensation de près de 90% des dérivés de taux d’intérêt en euro. Fin juin 2023, la Banque des Règlements Internationaux (BRI) évaluait l’encours notionnel des instruments dérivés en euros à l’équivalent de 130 000 milliards de dollars, soit un montant supérieur à la capitalisation boursière mondiale. C’est dire l’enjeu systémique !

La question du rapatriement de la compensation des contrats dérivés en taux euros sur le territoire de l’UE a alors soulevé de multiples problématiques. Quelle chambre de compensation pourrait reprendre un tel volume ? Dans quel Etat Membre ? Afin d’assurer la stabilité du marché, une décision d’équivalence aux chambres de compensation basées au Royaume-Uni avait été accordée dès 2019, d’abord de manière temporaire en prévision d’absence d’accord en cas de Brexit, puis de manière plus pérenne en 2022 jusqu’en 2025.

Nombreux débats

Cette solution palliative n’a toutefois pas résolu le problème de la dépendance européenne vis-à-vis d’infrastructures critiques et non régulées par les autorités de supervision européennes. Ce sujet continue de faire l’objet de nombreux débats dans le cadre des négociations entre le Conseil et le Parlement européen portant sur le projet de révision du Règlement EMIR (« EMIR 3 »). C’est un sujet fondamental, au-delà de sa forte médiatisation, car l’efficacité des mesures de garantie en application notamment des directives « collatéral » et « finalité » dépend en grande partie de la mise en œuvre de ce futur règlement.

Les enjeux de la compensation des produits dérivés de swap de taux en euro sont multiples. Au-delà de l’aspect politique de la compensation d’un tel volume de dérivés, la France et l’Allemagne souhaitant toutes deux accueillir la compensation des dérivés en taux euro, la révision du Règlement EMIR a pour objectif affiché de renforcer la sécurité et l’efficacité des contreparties centrales situées dans l’UE en renforçant leur attractivité, en encourageant la compensation au sein de l’UE et en prenant en compte les risques transfrontaliers, notamment dans la mise en œuvre des garanties destinées à protéger les contreparties centrales et leurs adhérents. Ces objectifs ambitieux partent du constat que ces dernières présentent une importance systémique pour la stabilité du système financier, certains auteurs estimant qu’en cas de défaillance d’une contrepartie centrale, afin d’éviter les défauts en cascade, la Banque Centrale Européenne (BCE) pourrait se retrouver engagée en tant que prêteur de dernier ressort, alors même que cette dernière n’a pas d’autorité directe dans la gestion des crises des contreparties centrales non situées sur le territoire de l’UE.

Dans une volonté de limitation du recours à des contreparties centrales qui ne sont pas supervisées par des régulateurs européens, la proposition de révision du Règlement EMIR portée par le Conseil et le Parlement européen et qui a fait l’objet d’un accord en février dernier projette de créer une obligation de compte actif (active accounts) présentée au nouvel article 7a. Cette obligation vise à imposer à certaines contreparties (financières ou non-financières au sens du Règlement EMIR) d’ouvrir un compte auprès de chambres de compensation situées dans l’UE, ce compte devant être considéré comme actif.

Compte actif

Les contreparties centrales situées au Royaume Uni et qui font l’objet d’une simple équivalence seraient par conséquent exclues du champ de cet article. Cette obligation est accompagnée de précisions opérationnelles permettant de s’assurer que le compte est effectivement actif : compte fonctionnel à tout moment, obligation de recours à ce compte pour compenser certaines transactions s’agissant des contreparties dont l'encours du volume notionnel de compensation des contrats dérivés entrant dans le champ de cette obligation excède un certain seuil, actuellement fixé à six milliards d’euros. Cette dernière mesure est destinée à produire directement l’effet recherché : un « rapatriement » ou relocalisation de certaines opérations sur produits dérivés, au sein de l’UE afin d’accroître la liquidité et la souveraineté européenne notamment sur les taux et le change. Les manquements à cette obligation d’ouvrir des comptes actifs pourront donner lieu à des amendes administratives, dont les contours restent à préciser par les Etats membres.

Dans l’état actuel de la proposition, cette exigence vise uniquement certains produits dérivés, à savoir les swaps de taux en euro ou en zloty polonais, ainsi que les produits dérivés short-term interest rate (STIR) en euro. Il en résulte que des produits, tels que les credit default swap (CDS), même en euro, ne seraient pas inclus dans le champ de cette obligation, malgré la proposition initiale de la Commission européenne. Il conviendra de voir si le champ réduit de cette version de l’article, s’il venait à être adopté en l’état, permettra tout de même de rendre la mesure efficace.

Clause de revue

Enfin, le projet de règlement révisé prévoit une clause de revue qui devrait survenir au plus tard cinq ans après l’entrée en vigueur du Règlement EMIR tel que modifié par la proposition. Cette revue devra alors se concentrer non seulement sur l’efficacité et l’efficience du règlement, au regard des objectifs de sécurité et stabilité du marché financier, mais également l’attrait des contreparties centrales situées dans l’Union européenne et l'impact du Règlement EMIR révisé sur la promotion de la compensation dans l'Union. L’occasion donc de voir si les mesures contenues dans l’actuel projet de révision, si elles venaient à être appliquées en l’état, ont porté leurs fruits, et faire jouer à une norme juridique le rôle de pourvoyeur de liquidité.

[1] Les auteurs tiennent à remercier Léa Nguyën-Phuoc, membre de l’équipe Règlementaire bancaire et financière de Norton Rose Fulbright, pour son aide précieuse à la rédaction de cet article.

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