Taxation des hauts patrimoines : les ultra riches dans le viseur de Bercy

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Alice Bouchaudy et Stéphanie Hamis (Arsene)

Chronique juridique de Stéphanie Hamis, associée, Alice Bouchaudy, manager, et Hugo Cernettig, collaborateur, du cabinet Arsene. 

L’année 2025 marque un tournant méthodologique dans l’approche de la fiscalité des hauts patrimoines en France. Plus qu’un empilement de mesures, c’est une cohérence d’ensemble qui se dessine, encore en chantier, autour d’un principe : assurer une contribution minimale des contribuables les plus fortunés, que leur richesse se manifeste par des flux (des revenus) ou par des stocks (du patrimoine). Trois instruments incarnent cette inflexion : la contribution différentielle sur les hauts revenus (« CDHR »), introduite par la loi de finances pour 2025 ; la proposition de taxe dite « Zucman » ; et une future Contribution Différentielle sur le Patrimoine (« CDP ») en cours de conception à Bercy. Tous partagent une ambition technique : combler les écarts entre capacité contributive théorique et charge fiscale effectivement supportée.

Imposition minimale effective

Le paradigme est ainsi celui d’une imposition minimale effective, déterminée en pourcentage consolidé de la base – qu’il s’agisse du revenu fiscal ou du patrimoine net.

La CDHR illustre ce mouvement. Introduite par la loi de finances pour 2025[1], celle-ci vise à garantir, pour les contribuables qui disposent d’un revenu fiscal de référence ajusté pour l’année 2025 supérieur à 250 000 € pour une personne seule et 500 000 € pour les contribuables soumis à une imposition commune, un taux minimal d’imposition de 20 % sur les revenus 2025. Elle correspond à la différence entre 20 % du revenu fiscal de référence ajusté et la somme de l’impôt sur le revenu, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus et des prélèvements libératoires dus au titre des revenus 2025. Applicable en principe uniquement au titre des revenus perçus en 2025, la CDHR fait pourtant d’ores et déjà l’objet de réflexions quant à sa pérennisation...

Bien que visant là encore les « ultra riches », les deux dernières mesures envisagées vont néanmoins beaucoup plus loin : elles ne se limitent pas à prendre en compte, pour déterminer le minimum d’imposition, l’ensemble des revenus du foyer fiscal, mais également l’ensemble de son patrimoine – avec comme objectif ultime la création d’un impôt plancher sur la fortune.

Stratégies d’évitement fiscal

La proposition de taxe dite « Zucman » repose ainsi sur un principe simple : tout foyer disposant d’un patrimoine net mondial supérieur à 100 millions d’euros devrait contribuer annuellement à hauteur d’au moins 2 % de ce patrimoine, tout impôts confondus (impôt sur le revenu, prélèvements sociaux, fiscalité locale, droits de mutation, impôt sur la fortune immobilière, etc.). La définition du patrimoine suit ici une approche extensive, afin de limiter les stratégies d’évitement fiscal. Sont notamment compris[2] les actifs immobiliers, les actifs mobiliers, les contrats d’assurance-vie, et l’ensemble des participations, y compris via des structures interposées (notamment les biens placés dans un trust). L’évaluation repose sur la valeur vénale estimée au 1er janvier, selon les règles de droit commun. Afin d’assurer l’effectivité de la mesure, et contrairement à ce que prévoient traditionnellement les impôts sur la fortune (IFI, ISF), le patrimoine pris en compte inclut les biens professionnels.

La taxe dite « Zucman » a néanmoins été rejetée par les sénateurs au cours de la séance du 12 juin 2025 et devra donc être de nouveau étudiée par les députés. Plusieurs associations appellent également le Gouvernement à reprendre cette mesure au sein du Projet de loi de finances pour 2026. Pour autant, l’instauration d’une telle taxe n’est pas sans soulever des interrogations au regard du principe constitutionnel d’égalité devant l’impôt et les charges publiques, dès lors que son assiette serait limitée à un nombre très restreint de foyers fiscaux – environ 1 800 selon les estimations – sur lesquels pèserait, à eux seuls, une charge fiscale globale évaluée entre 15 et 25 milliards d’euros, d’après les travaux de l’économiste Gabriel Zucman.

Contribution Différentielle sur le Patrimoine

La taxation des hauts patrimoines ne demeure pas pour autant en suspens : Bercy travaille d’ores et déjà à la mise en place d’une future Contribution Différentielle sur le Patrimoine.

La « CDP », en cours de discussion au sein de la Direction de la Législation Fiscale, apparaît comme une solution intermédiaire. Si la charge fiscale réellement acquittée (impôt sur le revenu, prélèvements sociaux, impôts patrimoniaux, impôts étrangers) par un foyer fiscal est inférieure à 0,5% de son patrimoine, alors les contribuables seraient tenus de payer la différence. Ce mécanisme partage avec la taxe Zucman sa logique de différentiel consolidé, mais il se distingue par une architecture plus souple et une assiette imposable plus réduite.

En particulier, l’assiette de la CDP reprendrait dans les grandes lignes l’ancien ISF[3] : seraient ainsi pleinement retranchés du patrimoine net taxable les actifs professionnels, les participations dans les jeunes entreprises innovantes ou PME innovantes les investissements dans les bois et forêts et dans les œuvres d'art. La mise en place d’un tel dispositif soulèverait bien entendu de nombreuses questions concernant les nouveaux types d’actifs apparus depuis la suppression de l’ISF : quid par exemple de la détention de cryptomonnaies, lorsqu’elles font l’objet d’opérations d’achat / revente régulières ?

De manière générale, ces dispositifs, pris isolément, pourraient apparaître comme des correctifs ponctuels. Pris ensemble, ils dessinent un schéma renouvelé d’imposition des hauts patrimoines. Désormais, ce n’est plus seulement le type de revenu ou la catégorie de patrimoine qui compte, mais l’effort contributif total rapporté à une capacité économique globale. En ce sens, ils réorientent la logique de notre système fiscal d’un modèle catégoriel, attaché aux sources de richesse, vers un modèle agrégé.

L’efficacité technique de ces différentes taxes dépendra de plusieurs facteurs : la capacité de l’administration fiscale à agréger les données patrimoniales et fiscales dans un cadre sécurisé (déclarations, bases enrichies, coopération internationale), la robustesse juridique des assiettes (évaluation, contrôle, garantie…), mais aussi la compatibilité de ces dispositifs avec les principes constitutionnels, notamment celui d’égalité devant l’impôt, souvent invoqué en matière d’impôt sur le patrimoine. À cela s’ajoute la question de l’effet de seuil : une taxation trop abrupte au-delà d’un niveau arbitraire de revenu ou de patrimoine peut créer des comportements d’arbitrage, de délocalisation ou de restructuration d’actifs, réduisant l’efficacité desdits prélèvements.

[1] Loi n° 2025-127 du 14 février 2025 de finances pour 2025, article 10.

[2] Rapport sur la proposition de loi de Mme Eva Sas et plusieurs de ses collègues instaurant un impôt plancher de 2 % sur le patrimoine des ultra riches (768), n° 930, déposé le mercredi 12 février 2025.

[3] Anciens articles 885 C et suivants du CGI.

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