Six ans après l’entrée en vigueur du règlement européen sur la titrisation, les autorités européennes de surveillance appellent à des ajustements ciblés pour renforcer l’efficacité du cadre réglementaire. Chronique juridique de Clément Vandevooghel, Merryn Craske, associés et Agathe Llorens, collaboratrice chez Morgan, Lewis & Bockius UK LLP.
Le 31 mars 2025, le comité mixte des autorités européennes de surveillance – l’Autorité bancaire européenne, l’Autorité européenne des assurances et des pensions professionnelles et l’Autorité européenne des marchés financiers (Esma) – a publié un rapport (le « Rapport ») sur la mise en œuvre et le fonctionnement du règlement européen n° 2017/2402 sur la titrisation (le « Règlement Titrisation »).
Effectué sur le fondement de l’article 44 du règlement Titrisation, le Rapport constitue une évaluation d’ensemble de l’efficacité du règlement Titrisation, six ans après son entrée en vigueur. Ce Rapport nous donne également l’occasion de rappeler que la titrisation reste une source indispensable de financement pour les acteurs économiques, qui comporte de nombreux avantages.
Un cadre juridique robuste, qui reste à affiner
Le Rapport souligne d’abord les avancées significatives qui ont été enregistrées depuis 2019, notamment l’instauration d’exigences claires en matière de transparence, de rétention du risque, de diligence raisonnable et la création du label « STS » (simple, transparent, standardisé). Cependant, malgré ces progrès et bien que le marché européen de la titrisation soit parfaitement sain, celui-ci reste peu dynamique comparé au marché américain de la titrisation.
Le comité mixte identifie notamment certains freins techniques et réglementaires qu’il conviendrait de lever en vue de soutenir la reprise et la modernisation du marché européen de la titrisation.
Le Rapport note ainsi un besoin de clarifier le champ d’application du règlement Titrisation en précisant qu’il doit trouver à s’appliquer dès lors que l’une des parties à l’opération de titrisation – qu’il s’agisse de parties vendeuses (sell-side) ou acheteuses (buy-side) – est établie dans l’Union européenne.
Le Rapport souligne également la nécessité d’introduire une approche plus proportionnée en matière de due diligence, à l’instar de la réglementation désormais en vigueur au Royaume-Uni. Les exigences aujourd’hui en vigueur sont jugées trop lourdes et peu flexibles par le comité mixte, qui reconnaît que cela peut engendrer une charge administrative disproportionnée dans certains cas. Il recommande donc d’adopter une approche qui serait basée sur la vérification de la substance des informations et non plus sur le format du reporting, afin de permettre une évaluation plus pertinente des risques.
De la même manière, le Rapport préconise de revoir les exigences de reporting afin de les rendre plus proportionnées, et d’améliorer dans le même temps l’utilité et la pertinence des données. À ce titre, l’Esma a notamment proposé en février 2025 par l’intermédiaire d’une consultation de simplifier les modèles de reporting pour les titrisations privées.
En outre, afin de renforcer l’efficacité du cadre STS, le Rapport met en exergue la nécessité d’apporter des améliorations ciblées à certains critères STS, particulièrement pour les titrisations synthétiques inscrites au bilan (on-balance-sheet securitisations).
Au-delà des ajustements techniques et juridiques du règlement Titrisation qui seraient bienvenus, il n’en demeure pas moins que la titrisation demeure un outil économique indispensable.
Une source indispensable de financement
Comme le rappelle le comité mixte, la titrisation a été désignée par l'Eurogroupe comme une priorité pour la législature 2024-2029 et demeure donc un outil économique indispensable pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, la titrisation permet aux initiateurs de transformer des actifs illiquides, tels que des créances commerciales, des créances issues de prêts à la consommation ou de prêts hypothécaires, en titres liquides et négociables sur le marché. En transférant ces risques, les initiateurs optimisent leur bilan, améliorent leur solvabilité et renforcent leur capacité à investir dans de nouvelles activités. La titrisation peut donc être considérée comme un canal de financement de l’économie réelle, favorisant l’accès au crédit pour les ménages et les entreprises, dans la mesure où elle libère des ressources pour financer de nouveaux projets.
En outre, la subordination en tranches permet aux investisseurs de choisir leur exposition au risque selon leur appétence ou stratégie (senior, mezzanine ou junior) selon la tranche à laquelle ils souscrivent, rendant ainsi les tranches senior plus attractives pour les investisseurs les plus averses au risque et diminuant du même coup le coût de financement global pour l’initiateur. Les initiateurs conservent toutefois une partie du risque, au travers de l’obligation de rétention d’un intérêt économique net significatif imposé par le règlement Titrisation, qui permet ainsi d’éviter les comportements opportunistes. Une meilleure répartition du risque entre les différentes parties prenantes est bénéfique, dans la mesure où elle permet d’améliorer la stabilité du système financier.
Par ailleurs, les récentes réformes – notamment la mise en place du cadre STS – illustrent l’effort constant des autorités européennes pour concilier sécurité et flexibilité. Par son cadre réglementaire, la titrisation européenne offre ainsi aux potentiels investisseurs transparence et sécurité, permettant d’attirer davantage d’investissements.
Enfin, la titrisation pourrait jouer un rôle important dans le financement de la transition écologique, à travers la structuration de produits adossés à des actifs « verts ». À ce titre, une meilleure intégration de la titrisation dans le cadre de la réglementation EU Green Bond (règlement 2023/2631 sur les obligations vertes européennes) permettrait de soutenir davantage la finance durable et la transition écologique.
Même si l’évolution du cadre réglementaire impose encore un effort d’adaptation de la part des autorités européennes, les réformes envisagées vont globalement dans le bon sens. La titrisation demeure une solution incontournable pour optimiser la gestion du risque de crédit, diversifier les sources de financement et soutenir durablement la croissance économique en Europe.