L’essor des Clubs Deals illustre la créativité du marché et l’appétit croissant des particuliers pour des actifs autrefois réservés aux professionnels. Mais cette innovation se situe sur une frontière délicate : celle qui sépare l’ingénierie contractuelle légitime de la gestion collective réglementée. Chronique juridique de Guillaume Dolidon, avocat au Barreau de Paris, Dolidon Partners.
La montée du retail investing, autrement dit de l’investissement des particuliers non-professionnels qui mobilisent leur épargne pour investir dans des actifs financiers non cotés (capital investissement, dette privée d’entreprise ou d’infrastructure) constitue une tendance structurelle.
Pour illustrer ce mouvement de démocratisation, l’AMF indique dans une récente étude que l’encours des fonds non-professionnels investis en actifs financiers non cotés souscrit par des particuliers est passé de 628 millions d’euros au 31 décembre 2017 à 7,8 milliards d’euros au 31 décembre 2023[1].
L’intérêt du grand public pour des actifs qui étaient traditionnellement réservés à des investisseurs professionnels ou fortunés repose à la fois sur leurs performances historiques, mais aussi sur le souhait de financer l’économie réelle notamment dans l’immobilier ou la transition écologique.
Cette marque d’intérêt croissante est par ailleurs soutenue par un environnement législatif français et européen favorable, que ce soit via une réorientation de l’épargne vers la transition écologique ou industrielle (loi « Industrie Verte » de 2023) ou un assouplissement des conditions d’accès aux investissements long terme pour les particuliers (révision récente du règlement européen ELTIF - European Long-term Investment Funds – entrée en vigueur en 2024, dit « ELTIF 2.0 »).
Dans ce contexte de montée en puissance du retail investing et d’ouverture progressive du Private Equity à une clientèle non-professionnelle, plusieurs modèles d’accès à ces classes d’actifs coexistent. Les fonds réglementés constituent l’outil traditionnel, désormais rejoints par des véhicules plus flexibles. Parmi ceux-ci, la pratique du Club Deal occupe une place croissante.
Le Club Deal : une structuration hybride et attractive
Souvent confondu avec le club d’investisseurs, qui relève d’une logique éducative et patrimoniale, le Club Deal est avant tout une technique de structuration et de distribution : il permet à plusieurs investisseurs de se regrouper pour financer directement une opération ciblée (immobilière, énergétique ou industrielle), en dehors des circuits classiques de gestion collective.
L’essor des Clubs Deals s’explique par leur double attractivité :
- Pour les investisseurs, qui bénéficient d’un accès direct, d’une visibilité sur les actifs financés (immeuble, parc photovoltaïque) et d’une diversification hors marchés cotés, au-delà des OPCVM/FIA traditionnels ;
- Pour les porteurs de projets et les sociétés de gestion, qui trouvent dans ce modèle une alternative souple et pragmatique aux fonds collectifs, tout en devant respecter les limites posées par la réglementation et la surveillance des autorités de régulation.
Les Club Deals qualifiés de FIA
Le terme Club Deal recouvre une pratique consistant à regrouper un cercle d’investisseurs restreint au sein d’un véhicule ad hoc (type SCI ou SAS) destiné à investir dans un actif ou un portefeuille déterminé.
Dans le domaine de l’immobilier, on rencontre parfois des opérations initiées par le porteur de projet lui-même, qui va généralement inciter des conseils en gestion de patrimoine (CGP) ou des conseils en investissement financier (CIF) à faire investir un cercle restreint de clients, par souscription au capital ou à une émission obligataire dans un véhicule dédié, moyennant une rémunération comme apporteur d’affaires. Si l’on ajoute que le véhicule est géré par le porteur de projet lui-même pendant toute sa durée de vie, et que les fonds levés sont alloués à un projet qu’il contrôle, inutile de préciser que les principes réglementaires les plus élémentaires du droit financier sont tous transgressés (exercice illégal de l’activité de gestion de portefeuille, violation des règles relatives aux conflits d’intérêts, manquement aux règles de commercialisation et de démarchage et risque d’offre au public de titres financiers non autorisée).
En amont de cette présentation caricaturale (mais non isolée), la question se pose de savoir si ce Club Deal ne doit pas être qualifié de fonds d’investissement alternatif (FIA).
Selon l’article L. 214-24 du code monétaire et financier, les fonds d'investissement relevant de la directive 2011/61/ UE du Parlement européen et du Conseil du 8 juin 2011, dits « FIA » sont (i) des organismes de placement collectifs qui lèvent des capitaux auprès d'un certain nombre d'investisseurs en vue de les investir, dans l'intérêt de ces investisseurs, conformément à une politique d'investissement que ces FIA ou leurs sociétés de gestion définissent, et (ii) qui ne sont pas des OPCVM.
Pour rappel, les critères d’identification schématiques d’un organisme de placement collectif (OPC) au sens de la directive AIFM du 8 juin 2011 sont :
- L’absence d’objet commercial ou industriel
- La mutualisation de capitaux levés en vue de générer un rendement collectif
- L’absence de pouvoir discrétionnaire des investisseurs sur les opérations courantes
Or, si le Club Deal n’est assurément pas un OPCVM, il est en revanche susceptible de réunir les caractéristiques d’un OPC. Dans un guide publié en 2013[2], l’AMF rappelle l’existence de la nouvelle catégorie que constituent les « Autres FIA » qui ne sont pas des FIA par nature, visés par l’article L. 214-1 du code monétaire et financier, mais qui sont néanmoins placés sous son contrôle, et exposés donc à d’éventuelles sanctions s’ils ne sont pas dirigés par une société de gestion agréée respectant l’ensemble de la réglementation applicable (valorisation, reporting, désignation d’un dépositaire, gestion des conflits d’intérêts).
A titre d’illustration, la commission des sanctions de l’AMF, dans une décision du 4 mai 2023, a défini un club deal immobilier [soumis à son examen] comme une opération de structuration dans laquelle « plusieurs investisseurs investissent ensemble dans une SCI, dont ils confient la gestion à un tiers et ne gardent pas la prise de décision d’investissement ou de désinvestissement sur les actifs », et qui relève dans ce cas de la catégorie des « Autres FIA », soumis au contrôle de l’AMF. Cette qualification préalable fonde la décision de la commission des sanctions qui prononce une sanction pécuniaire à l’encontre de la société mise en cause dans cette affaire pour s’être livrée à une activité de crédit non-autorisée par son agrément.
Les Clubs Deals échappant à la réglementation des FIA
Indépendamment des principes du droit financier qui doivent être respectés en tout état de cause, un Club Deal peut tout à fait échapper à la qualification de FIA, notamment dans les cas suivants :
- Implication directe des investisseurs
Si les investisseurs conservent individuellement un pouvoir effectif de décision en participant aux décisions collectives qui portent sur l’investissement ou le désinvestissement, il n’y aura alors pas de gestion déléguée à un tiers. En pratique, ces principes seront généralement confortés par l’existence d’un pacte d’associés et/ou de statuts stipulant des règles de majorité renforcées, l’unanimité pour certaines décisions, voire un droit de véto pour les opérations excédant un certain seuil (par exemple pourcentage de l’actif).
A titre de sécurisation, il peut aussi être recommandé de mettre en place un comité de surveillance composé des investisseurs avec des pouvoirs effectifs, de prévoir des obligations d’information périodiques, ou encore des possibilités de sortie individuelle (clause de retrait).
- Existence d’un objet commercial ou industriel réel
Si la société dans laquelle les investisseurs ont réalisé leurs apports se livre réellement à une activité commerciale ou industrielle (promotion immobilière, exploitation d’une centrale photovoltaïque, ou d’un actif industriel), elle sortira a priori du champ des FIA.
Attention toutefois : l’AMF exerce un contrôle vigilant et peut requalifier a posteriori une opération présentée comme un Club Deal en FIA déguisé, avec toutes les conséquences afférentes.
Les enjeux en termes de responsabilité
La qualification ou non d’un Club Deal emporte des conséquences directes en termes de responsabilités :
- Pour le porteur de projet : risque de sanction par l’AMF pour exercice illégal de la gestion d’actifs, responsabilité civile en cas de manquement aux règles d’information et de loyauté vis-à-vis des investisseurs.
- Pour les distributeurs (CGP, CIF) : exposition à une responsabilité contractuelle et disciplinaire s’ils ont proposé un investissement non conforme aux règles de commercialisation, avec risque d’action en responsabilité pour défaut de conseil.
- Pour les investisseurs : risque de défaut de protection réglementaire (absence de dépositaire, reporting, valorisation indépendante) et difficulté de recours en cas de mauvaise gestion ou de conflit d’intérêts.
L’essor des Clubs Deals illustre la créativité du marché et l’appétit croissant des particuliers pour des actifs autrefois réservés aux professionnels. Mais cette innovation se situe sur une frontière délicate : celle qui sépare l’ingénierie contractuelle légitime de la gestion collective réglementée.
La sécurité juridique et la protection des investisseurs exigent une vigilance accrue. À défaut, le risque est réel que des Clubs Deals non conformes soient requalifiés en FIA, avec pour corollaire une mise en cause de la responsabilité des acteurs impliqués.
[1] Etude de la performance des fonds d’actifs financiers non cotés commercialisés à des clients non-professionnels, AMF, janvier 2025, p.3.
[2] Guide des mesures de modernisation apportées aux placements collectifs français, AMF, 15 juillet 2013. V. aussi, M. Storck, « La SCI club deal, un autre fond d’investissement alternatif ? », Actes prat. ing. sociétaire 2017, n°151.