Chronique juridique de Muriel Goldberg-Darmon, docteur en Droit, avocate associée du cabinet Cohen & Gresser, Guillaume Guérin et Pierre Wolman, avocats du cabinet Cohen & Gresser.
La directive européenne CSRD (Corporate Sustainability Reporting Directive) (1), qui s’appliquera progressivement à compter du 1er janvier 2024, va renforcer significativement les obligations des entreprises en matière de reporting de durabilité. Ces nouvelles obligations, qui s’inscrivent dans un cadre réglementaire complexe, exposent les sociétés cotées à un risque contentieux accru.
Au cours des dernières années, afin notamment de renforcer la transparence des informations extra-financières fournies aux investisseurs et de lutter contre le greenwashing, les autorités françaises et européennes se sont attelées à dresser un cadre réglementaire en matière de finance durable. Dans ses orientations stratégiques « Impact 2027 » publiées le 26 juin 2023, le régulateur a d’ailleurs rappelé que la finance durable était l’une de ses priorités.
De nouvelles obligations de reporting extra-financier pour les entreprises à compter du 1er janvier 2024
La directive européenne CSRD imposera aux entreprises assujetties, notamment les sociétés cotées sur Euronext Paris, de publier des informations détaillées sur leurs risques et opportunités en lien avec les questions sociales, environnementales et de gouvernance ainsi que sur les impacts de leurs activités sur l’environnement et la société. L’information fournie, qui devra être qualitative et quantitative, mais aussi prospective et rétrospective, fera l’objet d’une certification par des prestataires de service d’assurance indépendants afin d’assurer sa fiabilité.
Afin d’harmoniser les informations publiées par les entreprises et de permettre leur comparabilité par les acteurs économiques, les entreprises devront se référer à des normes de reporting de durabilité élaborées par l’Union européenne. Plusieurs types de normes seront en vigueur : des normes universelles, applicables aux sociétés de tous secteurs, des normes sectorielles, et des normes spécifiques pour les PME cotées sur les marchés réglementées.
Un premier projet de normes universelles a été publié le 9 juin dernier par la Commission européenne. Ces normes détaillent les principes et concepts généraux que devront suivre les entreprises et précisent les informations spécifiques qui devront être publiées. Afin de faciliter la mise en application de ces normes par les entreprises, des guides d’application devraient être publiés prochainement.
Une articulation complexe avec les obligations de reporting extra-financière déjà existantes
La mise en œuvre de cette nouvelle réglementation représente un défi important pour les entreprises, du fait notamment de son articulation avec un ensemble complexe déjà existant.
Les entreprises doivent d’ores et déjà respecter un certain nombre d’informations extra-financières. Au niveau national, les entreprises sont aujourd’hui soumises à un ensemble réglementaire qui s’est étoffé à un rythme soutenu ces 20 dernières années : dispositif anti-corruption, indicateurs de parité, plan de vigilance, bilan des émissions de gaz à effet de serre, audit énergétique, politique de diversité, etc.
Les entreprises sont également assujetties à un certain nombre d’obligations de reporting extra-financier au titre de la réglementation européenne. A cet égard, rappelons que le règlement Taxonomie (2), qui fait l’objet d’une application progressive depuis le 1er janvier 2022, impose désormais aux entreprises soumises à l’obligation de publier une déclaration de performance extra-financière d’inclure dans leur déclaration des indicateurs clés de performance concernant la part « durable » de leur chiffre d’affaires, de leurs dépenses d’investissement et de leurs dépenses d’exploitation.
Consciente de la diversité et de l’enchevêtrement parfois incohérent des différents dispositifs, l’AMF a indiqué dans ses orientations stratégiques « Impact 2027 » vouloir accompagner « prioritairement » les émetteurs dans la compréhension et la mise en œuvre de l’ensemble des règles en matière de finance durable. L’AMF a d’ailleurs proposé dans un communiqué du 20 juin dernier quelques pistes d’actions et points d’attention pour aider les sociétés cotées dans la mise en œuvre des obligations CSRD.
Un risque contentieux accru pour les sociétés cotées
Il ne fait aucun doute que l’AMF sera, dans les prochaines années, attentive à l’intégrité et à la qualité de l’information extra-financières publiées par les sociétés cotées, notamment en application de la directive CSRD. Dans ses orientations stratégiques « Impact 2027 », l’AMF a d’ailleurs rappelé qu’elle entendait « assurer la supervision opérationnelle de l’information financière et extra-financière ». A cet égard, l’AMF a précisé qu’elle entendait engager « des enquêtes thématiques et utiliser, le cas échéant, des moyens répressifs, en particulier lorsque des investisseurs sont lésés », autrement dit la mise en œuvre notamment de procédure de sanction.
En outre, on constate déjà le développement de nouveaux contentieux en la matière à l’égard des sociétés, sous la forme de campagnes activistes ou de procédures judiciaires tant de la part d’actionnaires (3) que d’organisations tierces à l’entreprise (ONG, association de consommateurs etc.). Ce mouvement pourrait encore être accentué par la publication renforcée d’informations au titre de la directive CSRD.
Cependant, au-delà de ces risques contentieux, souvent longs et techniques, les sujets environnementaux exposent en pratique les sociétés cotées à un risque réputationnel très important qui pourrait avoir un impact significatif sur leur cours de bourse mais également sur les activités et les résultats de la société concernée.
(1) Directive (UE) 2022/2464 du Parlement européen et du Conseil du 14 décembre 2022 modifiant le règlement (UE) no 537/2014 et les directives 2004/109/CE, 2006/43/CE et 2013/34/UE en ce qui concerne la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises.
(2) Règlement (EU) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil du 18 juin 2020 sur l’établissement d’un cadre visant à favoriser les investissements durables et modifiant le règlement (UE) 2019/2088.
(3) Par exemple, la demande d’ajout de résolution climatique à l’ordre du jour des assemblées générales.
(4) Par exemple, la procédure intentée par 6 ONG à l’encontre de TotalEnergies, récemment déclarée irrecevable, pour « manquement au devoir de vigilance en matière climatique ».