Les réglementations ESG sont-elles irréconciliables?

  • Publication publiée :30 novembre 2021
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Tiphaine Saltini est fondatrice et directrice générale de Neuroprofiler.

Le cadre juridique destiné à orienter les investissements vers une économie durable comporte de nombreux défis pour les sociétés de gestion et les conseillers financiers. Autre enjeu majeur : les définitions d'investissement durable divergent entre les textes, notamment SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) et MiFIDII (Markets in Financial Instruments Directive). Chronique juridique de Tiphaine Saltini, fondatrice et directrice générale de Neuroprofiler.

Devant l'urgence climatique, les acteurs des marchés financiers et le Parlement européen sont en train de mettre en place une série de mesures pour encourager l'orientation des capitaux vers les activités qui favorisent le développement durable. 

Ces nouvelles mesures s'articulent principalement autour de deux volets :

Volet 1: Documenter les facteurs de durabilité des produits financiers, à commencer par les fonds d'investissement. 

Ce premier volet est en grande partie couvert par le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), entré en vigueur le 10 mars 2021.

Volet 2: Evaluer les préférences des investisseurs en matière de durabilité 

Ce second volet impose de prendre en compte, dans les activités de conseil ou de gestion de portefeuille, les attentes environnementales, sociales et de gouvernance des clients. 

Il est couvert par une modification de la directive des marchés d'instruments financiers MiFIDII (Markets in Financial Instruments Directive) et DDA (Directive sur la Distribution d'Assurance), qui sera mise en œuvre l'été prochain.

Un bouleversement dans les processus d'investissement actuels 

La mise en place de ces deux réglementations va imposer à toute société de gestion de relever un certain nombre de défis :

Défi 1: une approche multidimensionnelle de l'investissement

Aujourd'hui, les institutions financières sont habituées à faire correspondre un investissement avec la préférence du client en matière de risque/rendement. 

Avec les nouvelles réglementations, cette correspondance devra se faire de manière multidimensionnelle.

En plus de l'appétence au risque, les conseillers financiers devront prendre en compte l'appétence de leur client pour la finance durable, en collectant des informations aussi précises que les objectifs d'investissement durables qui lui tiennent à cœur ou les principales incidences négatives qu'il souhaite exclure de son investissement.

Outre ce changement de philosophie d'investissement, ces nouvelles réglementations impliquent aussi une refonte profonde des processus d'investissement et des systèmes IT pour s'adapter à cette nouvelle approche multidimensionnelle.

Défi 2: accéder à des données fiables

Classer les produits financiers selon leurs risques en matière de durabilité implique d'accéder à des données fiables sur ces produits. 

Si SFDR permettra aux institutions financières d'obtenir cette information pour les fonds d'investissement classiques, la tâche reste complexe pour des produits alternatifs comme le private equity, l'art, l'immobilier… 

Défi 3: évaluer l'appétence des clients pour la finance durable 

Avec la réforme MiFIDII, les conseillers financiers devront évaluer les préférences de leurs clients en matière de durabilité.

Si les clients sont aujourd'hui habitués à discuter risques et objectifs financiers avec leurs conseillers, tous ne sont pas prêts à aborder des sujets aussi intimes ou polémiques que l'exclusion du nucléaire, la soutenabilité de l'éolien ou encore l'efficacité des politiques de diversité.

Défi 4: une offre ESG (Environnement, Social et Gouvernance) encore limitée

L'offre de produits financiers durables reste encore très limitée, surtout pour le marché des particuliers.

Les conseillers financiers devront donc dans de nombreux cas expliquer à leurs clients que les produits financiers qu'ils sont en mesure de leur proposer ne correspondent pas à leurs préférences en matière de durabilité.

SFDR et MiFIDII: deux réglementations, deux classifications

En plus des défis susmentionnés, un autre enjeu majeur réside dans le non-alignement des définitions d'investissement durable pour SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) et MiFIDII (Markets in Financial Instruments Directive).

Règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) 

En effet, le règlement SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation) classifie les fonds d'investissement selon trois grandes catégories :

  • les produits non durables, qui ne documentent pas de caractéristiques environnementales et/ou sociales (produits dits « article 6 »);
  • les produits qui promeuvent des caractéristiques environnementales et/ou sociales (produits dits « article 8 ») et ;
  • les produits qui ont pour objectif l’investissement durable (produits dits « article 9 »).

Il revient aux sociétés de gestion d’identifier les produits relevant des articles 8 et 9 et d’appliquer les exigences de transparence correspondantes prévues dans le règlement. 

La définition large de la catégorie article 8 permet à de nombreux fonds d'investissement de se targuer d'être des produits d'investissement durable. 

Règlement MiFID (Markets in Financial Instruments Directive) 

Au contraire, la directive des marchés d'instruments financiers adopte une classification plus stricte en définissant l'investissement durable comme répondant à au moins un de ces trois critères:

  1. a) être aligné à la taxonomie environnementale européenne, au sens de l’article 2, point 1), du règlement (UE) 2020/852 du Parlement européen et du Conseil(*), dans une proportion minimale déterminée par le client ou le client potentiel ;
  2. b) correspondre à la définition d'investissement durable au sens de l’article 2, point 17), du règlement (UE) 2019/2088 du Parlement européen et du Conseil(**) dans une proportion minimale déterminée par le client ou le client potentiel ;
  3. c) prendre en compte les principales incidences négatives en matière de durabilité, les éléments qualitatifs ou quantitatifs qui démontrent cette prise en compte étant déterminés par le client ou le client potentiel ;

La différence entre les points a) et b) est ténue, mais primordiale : un investisseur peut soit investir dans des activités qui poursuivent un objectif environnemental spécifiquement adressé par la taxonomie européenne (biodiversité, pollution…), soit dans des activités avec un objectif social ou environnemental non (encore) répertorié par la taxonomie européenne.

Quelles différences entre la réglementation SFDR et MiFIDII?

Une convergence sur les articles 6 et 9

Ces deux réglementations s'accordent donc sur le fait qu'un produit de type article 6 n'est pas un produit durable tandis qu'un produit de type "article 9" est a priori durable.

L'épineuse catégorie "article 8"

Par contre, SFDR et MiFIDII diffèrent sur leur approche des instruments financiers de type "article 8". 

Selon SFDR (Sustainable Finance Disclosure Regulation), un fonds d'investissement peut être considéré comme durable ("article 8") s'il promeut au sens large des caractéristiques environnementales ou sociales, ce qui est accessible à de nombreux fonds.

Au contraire, selon MiFIDII (Markets in Financial Instruments Directive), un fonds dit durable devra 1) soit poursuivre un objectif d'investissement durable, 2) soit prendre en compte les principales incidences négatives de ses activités.

Un fonds classé "article 8" sous SFDR peut donc ne pas être considéré comme durable sous MiFIDII. 

Par exemple, un fonds qui poursuit une politique globale ESG sans pour autant poursuivre des objectifs d'investissement durables précis ou sans prendre en compte les principales incidences négatives de ses activités ne sera pas considéré comme durable sous MiFIDII.

Quelles conséquences pour les conseillers financiers?

A court terme, les conseillers financiers devront donc jongler entre deux classifications de leurs produits financiers pour se conformer à la fois à SFDR et MiFIDII, en attendant une probable réconciliation à moyen terme de ces deux approches.

Quelles sont les prochaines étapes?

D’autres règlements sont en préparation, notamment le règlement européen « Taxonomie » sur le sujet social. 

Un guide d'orientation devrait aussi venir préciser, début 2022, les attentes du régulateur sur le sujet de l'évaluation des préférences en matière de durabilité.

De nouvelles publications devraient enfin venir compléter et modifier certains articles de SFDR.

En savoir plus : 

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