Loin de condamner les CGP, le règlement européen MiCA (Markets in Crypto-Assets) leur offre une opportunité de renforcer leur position et de participer activement à l’adoption des crypto-actifs. Chronique juridique d'Arnaud Touati, associé chez Hashtag Avocats.
L’adoption du règlement européen MiCA (Markets in Crypto-Assets) marque un tournant majeur pour le secteur des crypto-actifs. Ce texte, qui vise à harmoniser les règles dans l’Union européenne, impose désormais un cadre strict pour l’exercice de certaines activités, notamment la fourniture de conseils sur les crypto-actifs et la réception-transmission d’ordres (RTO).
Face à cette nouvelle donne, nombreux sont les conseillers en gestion de patrimoine (CGP) qui s’interrogent : ont-ils encore leur place sur ce marché ? Pourront-ils continuer à accompagner leurs clients vers ces nouvelles classes d’actifs sans passer par la case agrément, réputée complexe et coûteuse ?
Une lecture rapide de MiCA pourrait laisser penser que le métier de CGP dans la crypto est condamné à disparaître. Mais une analyse attentive, notamment dans le contexte français, tend à montrer que cette crainte est probablement exagérée. La France dispose d’un cadre juridique et d’un retour d’expérience qui la placent en bonne position pour permettre à ses CGP de s’adapter à ce nouveau paysage réglementaire.
Un modèle français original
Dès 2003, avec la loi de sécurité financière, la France a fait le choix de structurer et de réguler l’activité de conseil en investissement à travers le statut de conseiller en investissements financiers (CIF). Ce statut, rattaché à des associations agréées par l’Autorité des marchés financiers (AMF), impose aux professionnels un ensemble d’obligations déontologiques, de formation, de contrôle interne et de responsabilité.
Ailleurs, la notion même de conseil indépendant sur les produits financiers n’est pas toujours réglementée, ou bien elle relève de statuts bancaires généraux, souvent inadaptés aux petites structures de gestion de patrimoine. Dans plusieurs États membres, le statut de CGP n’existe tout simplement pas en tant que tel.
Alors que plusieurs États membres devront renforcer ou adapter leur cadre, la France bénéficie déjà d’un socle réglementaire structuré auquel les professionnels peuvent se référer.
MiCA : un cadre exigeant mais pas insurmontable pour les CGP français
Le cœur du changement opéré par MiCA réside dans l’encadrement de deux activités centrales :
- la réception et transmission d’ordres (RTO) sur crypto-actifs pour le compte de clients ; et
- la fourniture de conseils portant sur ces mêmes actifs.
Ces activités, désormais réglementées au niveau européen, nécessitent l’obtention du statut de prestataire de services sur crypto-actifs (PSCA). Or, cet agrément impose une série de conditions : fonds propres minimum, dispositif de conformité robuste, gouvernance adaptée, procédures de sécurité opérationnelle, dispositif de lutte contre le blanchiment (AML/CFT), etc. Autant d’exigences qui, de prime abord, peuvent apparaître hors de portée pour les petites structures ou les CGP exerçant seuls.
Ce constat a rapidement alimenté l’idée d’une éviction des CGP du marché des crypto-actifs, au profit de structures plus lourdes, capables de supporter les coûts de la mise en conformité. Mais cette vision est réductrice. Car en réalité, les professionnels français disposent déjà d’un socle réglementaire très proche des exigences de MiCA, du fait de leur statut de CIF. Les mécanismes de contrôle interne, de devoir de conseil, de suivi des risques et de documentation des recommandations sont déjà familiers aux CGP français.
Pour les CGP français, la marche à franchir pour accéder à l’agrément PSCA pourrait donc être moins haute qu’il n’y paraît, à condition d’anticiper les démarches et de s’entourer des bonnes expertises (compliance, juridique, cybersécurité).
En effet, même si les CGP français disposent d’une base réglementaire avec le statut CIF, le passage au statut de PSCA impliquera un saut qualitatif, notamment en matière de fonds propres (50 000 euros), de gouvernance, et de sécurité opérationnelle. Pour beaucoup de petites structures, cela nécessitera probablement des regroupements, des partenariats, ou l’externalisation de fonctions critiques comme la conformité ou l’IT.
Une transition facilitée par l’AMF et la législation française
La loi DADDUE n° 2023-171 du 9 mars 2023, dans son article 8, prévoit en effet une période transitoire jusqu’au 30 juin 2026. Durant cette période, les professionnels déjà actifs dans le conseil en actifs numériques avant décembre 2024 peuvent continuer à exercer cette activité, à la condition d’avoir contractualisé formellement leurs relations avec leurs clients.
Concrètement, cela signifie que les CGP qui ont pris le sujet au sérieux, qui ont structuré leurs offres crypto avec rigueur, peuvent bénéficier d’un délai pour préparer leur mise en conformité, sans être contraints d’arrêter leur activité du jour au lendemain.
Cette période de transition est essentielle : elle permet aux professionnels de continuer à répondre à la demande croissante de leurs clients, tout en prenant le temps de bâtir une démarche de conformité durable. Elle constitue aussi une reconnaissance officielle de l’importance du conseil patrimonial dans l’adoption de la crypto, là où d’autres États européens restent encore très hésitants.
Alternatives et stratégies : des voies encore ouvertes pour les CGP
Même sans PSCA, il reste possible pour les CGP de continuer à jouer un rôle dans l’accompagnement de leurs clients vers les crypto-actifs. Plusieurs options stratégiques restent ouvertes.
D’une part, la finance décentralisée (DeFi) échappe au périmètre de MiCA. Il demeure donc légal de proposer une exposition à des protocoles DeFi, sous réserve de respecter les autres obligations professionnelles habituelles en matière de conseil et de gestion du risque.
Il convient de préciser que la DeFi échappe aujourd’hui au champ d’application de MiCA, mais cette situation pourrait évoluer rapidement : la réglementation européenne sur ce point est en cours de discussion et les travaux sur la régulation des interfaces de la DeFi (front-ends, DAOs, oracles, etc.) laissent apparaitre que le législateur entend encadrer progressivement cet écosystème.
D’autre part, les CGP peuvent également se positionner en apporteurs d’affaires : ils peuvent orienter leurs clients vers des PSCA agréés, qui prendront en charge la partie réglementée de la prestation. Cette approche peut être déclinée sous plusieurs formes, y compris par des intégrations techniques (API) permettant de connecter l’offre du CGP à celle du PSCA, tout en restant dans un cadre juridique sécurisé.
Ces modèles permettent de continuer à répondre à la curiosité croissante des épargnants pour les crypto-actifs, sans prendre le risque d’exercer illégalement une activité réglementée. Ils contribuent également à renforcer l’écosystème en structurant les relations entre les différents acteurs de la chaîne de valeur.
L’adoption massive des cryptos passera par les CGP… français
Le vrai enjeu, au-delà des considérations purement réglementaires, est celui de l’adoption. Et sur ce terrain, les CGP français sont les mieux placés en Europe pour faire le lien entre le monde traditionnel de la gestion de patrimoine et l’univers des crypto-actifs.
Ils bénéficient d’une expertise reconnue, d’une légitimité juridique consolidée par le statut de CIF, et surtout, d’une proximité avec une clientèle patrimoniale souvent réticente à s’aventurer seule sur les marchés crypto.
La France semble avoir une carte à jouer pour s’imposer comme l’un des hubs européens du conseil crypto, grâce à son écosystème de CGP déjà bien structuré. Contrairement à l’idée d’un marché réservé aux plateformes géantes, l’avenir de la crypto en Europe pourrait bien passer par les réseaux de proximité, par les professionnels capables d’expliquer, de rassurer et d’accompagner.
Conclusion :
La France pourrait se positionner comme un leader européen dans l’intégration des crypto-actifs à la gestion de patrimoine.
Loin de condamner les CGP, MiCA leur offre une opportunité de renforcer leur position et de participer activement à l’adoption des crypto-actifs par une clientèle plus large et mieux protégée.
Le pari est simple : miser sur la compétence, sur la transparence, sur la pédagogie. Et dans ce domaine, les CGP français ont déjà plusieurs longueurs d’avance.