Spin-off et introduction en bourse

  • Publication publiée :4 octobre 2022
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Chronique juridique de Marie-Aude Noury, avocat au Barreau de Paris, associée, Squair A.A.R.P.I

Un certain nombre de groupes cotés ont annoncé leur décision de se séparer d’une partie de leurs activités jugées non stratégiques par la distribution des actions de la société regroupant ces activités et la cotation simultanée de ces actions. Diverses considérations motivent ces opérations.

Pour les groupes opérant sur différents secteurs d’activités, la séparation des activités a pour but de permettre une meilleure valorisation pour les actionnaires (1), tant du groupe ainsi recentré sur son activité principale, ce qui contribue à éliminer une éventuelle décote de holding ou de conglomérat, que des actifs transférés circonscrits désormais dans un périmètre indépendant qui seront eux aussi valorisés par rapport à leurs comparables.

Cette approche est cohérente avec la recherche par les investisseurs et les fonds sectoriels d’actions de sociétés relevant d’un seul secteur d’activité.

Ces opérations ont été particulièrement nombreuses au cours des derniers mois (2). Bien que s’inscrivant dans un schéma connu de la pratique, elles présentent  des spécificités qu’il semble utile de rappeler.

Le recentrage des activités

L’opération peut porter sur une activité déjà filialisée, ou être précédée d’opérations de réorganisation du groupe dites de détourage (ou carve-out). Ces opérations ont pour but de regrouper au sein d’une société, généralement nouvelle, les actifs dont la séparation est envisagée. Les différentes techniques de transfert de titres ou d’actifs que ce soit par scission, apport ou cession notamment, sont utilisées voire combinées afin de transférer à la filiale les actifs et les passifs qui se rapportent à l’activité considérée. Dans la perspective d’une vie autonome et de la cotation, il conviendra de définir la gouvernance de la filiale, d’effectuer une revue des principaux contrats financiers, commerciaux et intra-groupe (notamment informatique, personnel, juridique, siège) et de mener une analyse comptable et fiscale de l’opération dans son ensemble.

Une opération à destination des actionnaires

L’introduction en bourse par voie de spin-off présente une particularité. Il ne s’agit pas d’une cotation par cession d’actions existantes ou émission d’actions nouvelles à destination d’investisseurs indéterminés. L’opération consiste en l’attribution des actions de la filiale aux actionnaires de la société-mère et la cotation simultanée des actions de la filiale ainsi attribuées.

L’attribution des actions de la filiale aux actionnaires de la société-mère s’opérera le plus souvent sous la forme d’une distribution de dividende (réserve ou prime) en nature.

A ce titre, l’opération est soumise à l’approbation des actionnaires de la société-mère et s’appuie sur une clause statutaire autorisant une distribution des dividendes ou acomptes, réserves ou primes par la remise de biens en nature, y compris notamment de titres financiers.

L’attribution des actions de la filiale aux actionnaires de la société-mère est réalisée proportionnellement à leur détention dans le capital de la société-mère (les rompus éventuels sont non négociables et indemnisés en numéraire).

Selon l’importance des actifs concernés, le projet de distribution en nature peut également être soumis à l’avis des instances représentatives du personnel et l’avis consultatif de l’assemblée générale des actionnaires au titre de la recommandation AMF n°2015-05 sur la cession des actifs significatifs et du code de gouvernement d’entreprise AFEP-MEDEF.

Il ne s’agit pas d’une scission au sens du droit français. Il n’y a pas division de la société cotée en deux ou plusieurs sociétés nouvelles, mais spin-off ou demerger par l’attribution des actions de la filiale dont la cotation est demandée.

Les opérations récentes d’introduction en bourse d’Universal Music Group, Euroapi ou Technicolor Creative Studios se sont réalisées de cette manière.

La cotation en France des actions de la filiale exige la préparation d’un prospectus d’admission des titres conformément au Règlement Prospectus (EU n° 2017/1129). Il sera approuvé par l’Autorité des marchés financiers en amont de l’assemblée générale des actionnaires de la société-mère appelée à se prononcer sur un projet de résolution concernant la proposition d’un dividende sous la forme d’une distribution des actions de la filiale. Cette proposition de distribution d’un dividende en nature est souvent réalisée en complément du versement du dividende en numéraire habituellement proposé. La parité ainsi que le nombre d’actions de la filiale qui seront distribués sont généralement fixés à la date de l’avis de convocation, date à laquelle le prospectus est en principe approuvé par l’AMF. A la date du paiement du dividende, les actions sont cotées. La date de première cotation est généralement retenue pour l’évaluation du montant de la distribution en nature.

Le marché du titre peut être difficile dans les premiers jours de cotation, certains actionnaires décidant de vendre les titres qui viennent de leur être attribués dès lors qu’ils ne correspondent pas à leur secteur d’investissement. C’est ainsi que les actionnaires de référence de la société-mère s’engagent généralement à conserver pendant une certaine période tout ou partie des actions de la filiale qui leur ont été attribuées.

Enfin, une distribution de titres par voie de dividende suppose au préalable la reconnaissance de l’existence de sommes distribuables dans les comptes sociaux de la société-mère. Cette contrainte tant juridique que comptable doit être correctement appréciée dès le début de l’opération et peut exiger l’établissement de comptes intermédiaires et la réévaluation des actions distribuées. En tout état de cause, une distribution aux actionnaires suppose un niveau de capitaux propres suffisant et qui ne soit pas de nature à bouleverser les équilibres financiers de la société-mère après distribution.

Ce type d’opération est très peu sensible aux conditions de marché et peut constituer une alternative intéressante à l’introduction en bourse proprement dite, à condition cependant de répondre à un certain nombre de conditions ainsi qu’aux attentes du marché. En pratique, elle suppose l’existence d’activités très différentes avec des valorisations distinctes et la volonté d’une société-mère de se séparer d’une activité autonome, sans avoir de besoin de financement tout en disposant de la capacité de doter l’entité à coter en moyens propres pour assurer son autonomie et sa viabilité.

(1) En ce sens notamment : “The value creation of UMG demerger from Vivendi », The Vernimmen.com Newsletter, n°144, September 2022, p. 4

(2) Notamment, Vivendi et la cotation d’ Universal Music Group sur la bourse d’Amsterdam (Prospectus d’admission approuvé par l’AFM du 14 septembre 2021), Sanofi et la cotation d’Euroapi sur Euronext Paris (Prospectus d’admission approuvé par l’AMF le 31 mars 2022 sous le numéro 22-076), Technicolor et la cotation de Technicolor Creative Studios sur Euronext Paris (Prospectus d’admission approuvé par l’AMF le 1er août 2022 sous le numéro 22-33.

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