Chronique juridique de Muriel Goldberg-Darmon, docteur en Droit, avocate associée du cabinet Cohen & Gresser, et de Guillaume Guérin et Pierre Wolman, avocats du cabinet Cohen & Gresser
La loi visant à améliorer la protection des lanceurs d’alerte devrait être prochainement adoptée. L’Assemblée nationale a voté le 8 février le texte proposé par les députés et sénateurs en commission mixte paritaire. L’examen de la proposition de loi devant le Sénat doit intervenir le 16 février. Cette loi, qui transpose en droit français la directive européenne du 23 octobre 2019 sur les lanceurs d’alerte, va renforcer le cadre général de protection de ces derniers créé par la loi dite « Sapin II » de 2016.
Pour l’essentiel, la nouvelle loi (i) élargit la définition du lanceur d’alerte, (ii) étend le régime protecteur du lanceur d’alerte à l’entourage de ce dernier, (iii) simplifie les modalités de signalement des alertes, et (iv) renforce la protection accordée aux lanceurs d’alerte.
Un élargissement de la définition du lanceur d’alerte
Le lanceur d’alerte est défini dans la nouvelle loi comme une « personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi des informations portant sur un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international […], du droit de l’Union européenne, de la loi ou du règlement ».
Cette nouvelle définition du « lanceur d’alerte » est, à plusieurs égards, plus large que celle retenue par la loi Sapin II et la directive précitée :
-le caractère de « gravité » des violations et des menaces ou préjudices à l’intérêt général n’est plus requis ;
-l’obligation faite au lanceur d’alerte d’avoir, en toute hypothèse, « personnellement connaissance » des faits faisant l’objet de l’alerte est supprimée. Cette exigence n’est dorénavant requise que lorsque les informations n’ont pas été obtenues dans le cadre professionnel. Un lanceur d’alerte peut ainsi signaler des faits qui lui ont été seulement rapportés dans le cadre de son travail ;
-l’ensemble des violations au « droit de l’Union européenne » peuvent faire l’objet d’une alerte dans les mêmes conditions que les violations aux engagements internationaux, à la loi ou au règlement ;
-la « tentative de dissimulation d’une violation » peut désormais faire l’objet d’une alerte, au même titre qu’une « violation ».
Une extension du régime de protection du lanceur d’alerte à son entourage
Autre modification apportée par la nouvelle loi, le régime protecteur du lanceur d’alerte est étendu à l’entourage de ce dernier. Ainsi, peuvent désormais bénéficier des mesures de protection accordées aux lanceurs l’alerte les personnes physiques en lien avec ce dernier et risquant de faire l’objet de représailles dans le cadre de leurs activités professionnelles, ainsi que les entités juridiques contrôlées par le lanceur d’alerte (au sens de l’article L. 233-3 du code de commerce) pour lesquelles le lanceur d’alerte travaille ou avec lesquelles il est en lien dans un contexte professionnel.
Bénéficient également du régime protecteur les personnes qualifiées de « facilitateurs », entendus comme toute personne (physique ou morale de droit privé à but non lucratif) aidant le lanceur d’alerte à signaler ou divulguer des informations relatives à des faits illicites. Peuvent être concernées des personnes morales aussi diverses que les syndicats, les associations ou les organisations non gouvernementales (ONG), qui ne peuvent pas être qualifiées de « lanceur d’alerte ».
Rappelons néanmoins que, comme précédemment, la nouvelle loi continue d’exclure du régime protecteur des lanceurs d’alerte les informations, faits et documents couverts par le secret de la défense nationale, le secret médical et le secret professionnel de l’avocat. S’ajoutent désormais à cette liste d’exclusion le secret des délibérations judiciaires ainsi que le secret de l’enquête et de l’instruction judiciaires.
Une simplification des modalités de signalement des alertes
Afin de réduire le risque de pressions et de représailles dont peuvent faire l’objet les lanceurs d’alerte lors d’un signalement interne, la nouvelle loi modifie la gradation des signalements.
Rappelons qu’au titre de la loi Sapin II, la procédure de signalement des alertes comportait trois paliers successifs. Le lanceur d’alerte devait d’abord procéder à un signalement interne à son organisation (supérieur hiérarchique, direct ou indirect, employeur ou référent désigné par celui-ci). En l’absence de traitement dans des délais raisonnables, le lanceur d’alerte pouvait alors s’adresser, en externe, aux autorités judiciaire ou administrative, ou aux ordres professionnels. Puis, en dernier ressort, à défaut de traitement de l’alerte externe dans un certain délai, le lanceur d’alerte pouvait alors rendre l’alerte publique.
Désormais, tout lanceur d’alerte peut adresser un signalement en externe, soit directement, soit après avoir effectué un signalement interne (comme précédemment).
La divulgation au public reste quant à elle toujours conditionnée, par principe, à un signalement préalable en externe à l’issue duquel aucune mesure appropriée n’a été prise. Par exception, et pour autant que la divulgation ne porte pas atteinte aux intérêts de la défense et de la sécurité nationale, la divulgation publique peut intervenir directement sans signalement externe lorsqu’un tel signalement pourrait conduire à un « risque de représailles » pour son auteur ou « ne permettrait pas de remédier efficacement à l’objet de la divulgation »
Cette exception s’ajoute à celle déjà existante par laquelle la divulgation au public peut intervenir directement en cas de « danger grave et imminent ». La nouvelle loi introduit, en outre, la possibilité pour un lanceur d’alerte de divulguer directement au public des informations obtenues dans le cadre professionnel en cas de « danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général ».
Notons par ailleurs que la nouvelle loi conserve la faculté pour le lanceur d’alerte d’adresser son signalement au Défenseur des droits, qui pourra l’orienter vers l’autorité la mieux à même d’en connaitre. A cet égard, une proposition de loi organique, qui devrait également être prochainement adoptée, renforce les missions du Défenseur des droits en la matière.
Un renforcement des mesures de protection du lanceur d’alerte
L’adoption de la loi permettra également aux lanceurs d’alerte d’être davantage protégés. A titre d’exemple, la nouvelle loi confère désormais, ce qui n’était pas prévu par la loi Sapin II, l’immunité civile au lanceur d’alerte, dès lors que ce dernier aura des motifs raisonnables de croire que le signalement ou la divulgation publique était nécessaire à la sauvegarde des intérêts en cause.
Cette immunité civile s’ajoute à celle pénale figurant à l’article 122-9 du code pénal, dont la nouvelle loi renforce la portée. Aux termes de la loi Sapin II, le lanceur d’alerte ne pouvait être pénalement responsable dès lors que la divulgation était nécessaire et proportionnée à la sauvegarde des intérêts en cause et que la hiérarchisation des canaux d’alerte était respectée. La nouvelle loi prévoit désormais que le lanceur d’alerte ne peut pas davantage être pénalement responsable pour avoir soustrait, détourné, recelé des documents contenant les informations dont ils ont eu connaissance de manière licite.
Notons également que la liste des mesures de représailles interdites visant un lanceur d’alerte est complétée et les sanctions renforcées en cas de représailles prises à l’encontre d’un lanceur d’alerte. En outre, la nouvelle loi prévoit la possibilité pour le lanceur d’alerte, impliqué dans certaines procédures judiciaires, de demander au juge qu’une provision lui soit allouée, à la charge de l’autre partie.
A l’avenir, le renforcement du cadre général de protection des lanceurs d’alerte devrait faciliter et favoriser le déclenchement des alertes, notamment à l’initiative des salariés au sein de leurs entreprises. Il est donc primordial que les entreprises se dotent des moyens adéquats pour être à même de traiter ces alertes et de conduire des enquêtes internes.