Chronique juridique de Guillaume Dolidon, avocat au barreau de Paris, Dolidon Partners.
L’intérêt des particuliers pour le private equity et l’investissement dans l’économie réelle, mais aussi l’évolution du financement des entreprises, qui se détournent parfois des banques, sont des tendances qui marquent un phénomène croissant de désintermédiation.
En effet, une part toujours plus significative des opérations de haut de bilan est désormais structurée par les acteurs du marché privé. Les différents professionnels qui accompagnent les investisseurs comme les porteurs de projets ou autres émetteurs dans leurs transactions (tels que les avocats, experts-comptables, CIF ou conseils en gestion de patrimoine) se retrouvent souvent à exercer de fait (et librement) des activités de conseil en haut de bilan à titre accessoire, sans pour autant être agrées comme prestataires de services d’investissement (PSI) ou autorisés à fournir des services d’investissement.
L’article L 321-2 (3°) du code monétaire et financier précise, sans les définir, que ces services qualifiés de connexes aux services d’investissement comprennent « La fourniture de conseil aux entreprises en matière de structure de capital, de stratégie industrielle et de questions connexes ainsi que la fourniture de conseil et de services en matière de fusions et de rachat d'entreprises ».
Les frontières entre ces activités de conseil en haut de bilan, et celles qui relèvent du service de conseil en investissement, du placement ou d’autres métiers réglementés, comme la gestion pour compte de tiers, ne sont cependant pas toujours aisées à identifier, notamment pour les professionnels de la gestion patrimoniale qui, parfois – à vouloir servir la réalisation d’un projet - prennent dans une transaction une position transversale identique à celle du maître d’œuvre dans une opération de construction, et donc qui n’est plus tout à fait une activité connexe ou accessoire. Or, la méconnaissance de l'exigence d'agrément, lorsqu’il est requis, est de nature à engager la responsabilité civile de la personne qui fournit le service d'investissement lorsque cette méconnaissance cause à son cocontractant un préjudice personnel et direct résultant de la privation des garanties attachées à l'agrément. Il peut aussi l’exposer à des sanctions disciplinaires.
Dans un contexte où les conseils habituels des investisseurs ou des entrepreneurs sont de plus en plus sollicités, de par leur relation de proximité, pour accompagner leurs clients dans leurs opérations transactionnelles, il est intéressant de rappeler les principaux apports de la position conjointe du 14 mars 2018 de l’AMF et l’ACPR (Position AMF – DOC-2018-03, mise à jour en 2024) qui est venue préciser avec beaucoup de soin les conditions dans lesquelles les activités de conseil en opérations de haut de bilan peuvent être exercées librement, sans agrément, ni statut professionnel particulier.
Les activités qui relèvent des services connexes aux services d’investissement (dites de haut de bilan) et dont l’exercice ne requiert pas d’agrément
Les prestations dites de conseil en haut de bilan consistent principalement à assister, conseiller et accompagner les personnes physiques ou morales, et leurs dirigeants ou associés dans la conception et la mise en œuvre de projets de cession, d’acquisition, de levée de fonds et la recherche de financement pour ces mêmes opérations.
A l’instar du métier de banquier d’affaires, la mission du conseil comprend le plus souvent les phases suivantes :
- Un travail d’analyse centré sur les besoins du client, ainsi que les solutions proposées pour y répondre (levée de fonds, recherche de financements, ouverture du capital social, acquisition ou cession) ;
- Un travail de production de la documentation utile à la mise en œuvre du projet (teaser, mémorandum d’information, accords de confidentialité) ;
- Un travail de recherche et la conduite de diligences sur les contreparties possibles (partenaires financiers, repreneurs, acquéreurs ou cibles potentielles) ;
- Un travail d’accompagnement dans la conduite des négociations (organisation et suivi des échanges, mise en place de data-room et coordination avec les autres professionnels impliqués dans la transaction).
En conclusion, et selon la position commune de l’AMF et de l’ACPR, ces activités de mission et d’assistance sont assorties d’enjeux non exclusivement financiers, et qui ne sauraient se réduire à la conclusion d’une transaction sur des instruments financiers. Elles se singularisent également par le fait que le conseil est dépourvu de pouvoir décisionnel, le client restant le seul décisionnaire à chaque étape.
La distinction entre le conseil en haut de bilan et le conseil en investissement
Le code monétaire et financier (Article D. 321-1) défini le conseil en investissement comme la fourniture de recommandations personnalisées à un tiers, soit à sa demande, soit à l’initiative du conseil qui fournit le conseil, en ce qui concerne une ou plusieurs transactions portant sur des instruments financiers. Ce service ne peut être fourni que par des professionnels régulés que sont les PSI ou les conseillers en investissements financiers (CIF).
Parmi leurs diligences, et en vue de fournir le service de conseil en investissement, les PSI et les CIF doivent se procurer les informations nécessaires concernant les connaissances et l'expérience de leurs clients en matière d'investissement, leur situation financière, y compris leur capacité à subir des pertes, et leurs objectifs d'investissement, y compris leur tolérance au risque, de manière à pouvoir leur recommander les instruments financiers adéquats.
Pour distinguer le conseil en haut de bilan et le conseil en investissement, les autorités de régulation considèrent qu’il convient d’appréhender l’objectif qui est poursuivi par le client, et aussi sa posture d’entrepreneur ou d’investisseur selon les cas. Si son objectif et de nature entrepreneuriale et industrielle (financement du développement ou de la croissance externe, organisation de la cession ou l’acquisition d’une activité), alors le conseil fourni peut être qualifié de connexe au service d’investissement, tandis qu’il qualifie un conseil en investissement proprement dit lorsque l’objectif est patrimonial (recherche d’un rendement financier ou constitution d’une épargne).
La distinction entre le conseil en haut de bilan et le placement non garanti
Conformément au 7 de l’article D. 321-1 du code monétaire et financier, le service de placement non garanti, visé au 7 de l’article L. 321-1, est défini comme « le fait de rechercher des souscripteurs ou des acquéreurs pour le compte d'un émetteur ou d'un cédant d'instruments financiers sans lui garantir un montant de souscription ou d'acquisition ». Le service de placement non garanti ne peut être fourni que par des professionnels régulés que sont les prestataires de services d’investissement (PSI) et les prestataires de services de financement participatif (PSFP).
Il existe parfois un risque de confusion entre les activités de conseil en haut de bilan et le placement non garanti lorsque, par exemple, le conseil accompagne une entreprise qui va émettre ou céder des instruments financiers, et que ses diligences (comme vu précédemment) consistent à rechercher des contreparties pertinentes appelées potentiellement à souscrire ou acquérir les instruments financiers émis ou cédés dans le cadre de la transaction.
Pour distinguer les activités, les autorités de régulation précisent qu’il faut considérer les différences suivantes :
- Le conseil en haut de bilan va rechercher des acquéreurs ou souscripteurs potentiels intéressés par le projet entrepreneurial du client (acteurs du secteur ou établissements spécialisés dans le capital-investissement), tant que celui qui fournit le service de placement non garanti ira chercher des investisseurs professionnels ou s’adressera au public ;
- Le conseil en haut de bilan détermine les conditions de la transaction de manière concertée avec son client, tandis que celui qui fournit le service de placement s’engage à agir sur le fondement d’un cahier des charges déterminé par l’émetteur ou le cédant ;
- L’intuitu personae très fort en matière de conseil en haut de bilan, est généralement moindre dans le service de placement.
A la différence de ceux qui sont mis en lumière pour le distinguer du conseil en investissement proprement dit, les critères de délimitation entre l’activité de placement non garanti et celle de conseil en haut de bilan sont beaucoup moins convaincants. En pratique, il semble raisonnable de considérer que le professionnel restera inscrit dans le périmètre du service connexe si la recherche de souscripteurs ou d’acquéreur d’instruments financiers, n’est que la mise en œuvre d’une solution qu’il aura prodiguée en amont à son client, et que cette recherche est particulièrement qualifiée (profil et adéquation au projet notamment) et qu’elle suit une méthodologie prédéterminée, en accord avec le client.