EIOPA/ESMA : deux points de vue sur l’évaluation des préférences en matière de durabilité

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Tiphaine Saltini (Neuroprofiler)

Confrontées à une réglementation complexe et polémique, les deux autorités européennes, celle des assurances et celle des marchés financiers, ne semblent pas partager la même vision. Chronique juridique de Tiphaine Saltini, fondatrice et directrice générale de Neuroprofiler.

Interroger les investisseurs sur leurs préférences en matière d'investissement durable devient obligatoire à partir d'août 2022.

Cette obligation s’applique pour toute institution financière ayant des activités de conseil, sous MiFID II tout comme sous DDA (Directive sur la Distribution d'Assurance).

La notion de « préférences en matière de durabilité » fait plus précisément référence à un produit financier qui répond à au moins un des trois critères ci-dessous :

  1. a) est investi dans des investissements durables sur le plan environnemental, tels que définis à l'article 2, paragraphe 1, du règlement (UE) 2020/852 (taxonomie européenne), dans une proportion minimale déterminée par le client ou client potentiel ;
  2. b) est investi dans des investissements durables au sens de l'article 2, paragraphe 17, du règlement (UE) 2019/2088, dans une proportion minimale déterminée par le client ou le client potentiel ;
  3. c) traite les principales incidences négatives sur les facteurs de durabilité, les éléments qualitatifs ou quantitatifs qui le démontrent étant déterminés par le client ou le client potentiel.

Le 27 janvier 2022, l'ESMA (MIFID II) a publié une consultation pour proposer des lignes directrices sur la manière d'intégrer l'évaluation des préférences en matière de durabilité dans le processus d'adéquation. 

La consultation s’est clôturée le 27 avril et le rapport final est attendu pour le troisième trimestre. La version finale devrait être publiée en juillet, juste avant l'obligation réglementaire.

Le 13 avril, l'EIOPA (DDA) a également lancé une consultation sur le sujet, qui a pris fin le 13 mai.

Confrontées à une réglementation complexe et polémique, les deux autorités ne semblent pas partager la même vision sur tous les points de la nouvelle réglementation.

Nous comparons ci-dessous leurs principaux points communs et différences de ces deux consultations.

Similitudes principales

A quel moment collecter les préférences en matière de durabilité ?

Les deux consultations s’accordent pour que la collecte des préférences en matière de durabilité intervienne suite à l’évaluation traditionnelle du profil de risque (expertise financière, objectifs d’investissement…).

Ces informations doivent être mises à jour régulièrement, en même temps que la mise à jour des autres éléments relatifs au profil de risque. 

Éducation financière sur l’investissement durable

Un autre point de convergence est qu’une définition des préférences en matière de durabilité doit être incluse en amont des questionnaires d'adéquation MiFID II ou DDA. 

Les termes techniques doivent être évités autant que possible.

Processus si aucune préférence pour la finance durable n’est exprimée par le client

Lorsque le client n'exprime aucune préférence en matière de durabilité, la décision doit être enregistrée et l'entreprise financière peut procéder à une recommandation soit durable, soit non durable.

Correspondance avec le produit durable

Si aucun produit ne correspond aux préférences de durabilité du client, celui-ci doit être invité à modifier ses préférences en matière de durabilité.

Une approche non biaisée

Enfin, dans les deux consultations, les régulateurs insistent sur le fait que la collecte des préférences en matière de durabilité doit se faire de manière non biaisée. 

Cette recommandation fait échos aux dernières orientations de l’ESMA en 2018 qui conseille l’utilisation de la finance comportementale pour éviter d’évaluer la tolérance au risque des clients de manière biaisée.

Différences principales

Base de référence pour collecter les préférences en matière de durabilité

Dans le cas de recommandation de portefeuille, le calcul d’impact durable doit-il se faire au niveau de l'instrument financier ou du portefeuille ?

Les deux orientations semblent avoir des approches différentes sur cette question.

Sous MIFID II :

« Lorsque le client souhaite inclure un ou tous les aspects mentionnés aux points a) à c) de l'article 2, paragraphe 7, du règlement délégué MiFID, cela peut être évalué soit au niveau du portefeuille, soit au niveau de l'instrument financier, en fonction du service rendu. »

Sous DDA :

« Afin de collecter des informations sur la proportion minimale investie dans des investissements durables tels que définis dans la Taxonomie, les entreprises et intermédiaires d'assurance doivent demander au client si l'alignement sur la taxonomie doit être basé sur tous les investissements du produit d'investissement fondé sur l'assurance, ou uniquement sur les actifs qui ne sont pas basés sur des obligations d'État. »

Auto-évaluation

Dans les orientations de 2018, l'ESMA met en garde contre l'utilisation de l'auto-évaluation pour évaluer les préférences d'investissement des clients, notamment la tolérance au risque et les connaissances financières.

Néanmoins, dans sa consultation sur l’évaluation des préférences en matière de durabilité, l'approche suggérée pour le moment est justement celle de l'auto-évaluation.

L'EIOPA ne se prononce pas sur ce point, promouvant uniquement une approche « non biaisée » de cette évaluation.

Utilisation de fourchettes pour capturer l'alignement sur la taxonomie et sur SFDR

Les produits ESG actuellement disponibles sur le marché ont un degré d’alignement à la taxonomie très faible (avec un maximum de 5% à 20% chez la plupart des distributeurs).

Or, dans la nouvelle réglementation, le client devra donner le pourcentage de son investissement qu’il souhaite aligné avec la taxonomie, sans être biaisé dans son choix. Ainsi, il est probable que beaucoup d’investisseurs choisiront un pourcentage d’alignement maximal à 100%.

Il sera alors impossible de leur recommander des produits adéquats, et ces derniers devront donc modifier leurs préférences en matière de durabilité en conséquence.

Un tel processus risque d’être source de beaucoup de frustration auprès des clients.

L’utilisation de fourchettes larges du type « 0 à 10% » ou « 20% à 100% » permettrait de limiter ces inadéquations.

Néanmoins, l'EIOPA indique dans ses orientations que de telles fourchettes fermées ne doivent pas être utilisées, et prend plutôt comme exemple des fourchettes ouvertes (ex : minimum de 10 %, minimum de 20 %,…). 

Dans sa session de Open Hearing, l’EIOPA a précisé que ces fourchettes ouvertes ne devaient pas se limiter aux pourcentages d’alignement des produits disponibles dans l’institution financière, mais devait bien couvrir tout le spectre des 30%, 40%, 50%...

L'ESMA, au contraire, ne s’exprime pas sur ce point.

Collecte des principales incidences négatives

L’acte délégué mentionne qu'un instrument financier peut être considéré comme un produit durable s'il « traite les principales incidences négatives sur les facteurs de durabilité, les éléments qualitatifs ou quantitatifs qui le démontrent étant déterminés par le client ou le client potentiel ».

L'EIOPA précise ce point en indiquant que le client doit non seulement sélectionner les principales incidences négatives qu'il souhaite prendre en considération dans son investissement, mais également expliquer pour chacun d'eux les critères quantitatifs ET qualitatifs démontrant cette prise en compte. 

L'ESMA ne précise pas de son côté si ce sont des éléments qualitatifs ET ou juste OU quantitatifs qui doivent être collectés pour chaque principale incidence négative.

Par contre, dans les deux orientations, l'utilisation de méta-catégories de principales incidences négatives est autorisée.

Conclusion

Cette courte introduction à ses deux orientations montre la complexité de la mise en œuvre de la nouvelle réglementation sur les préférences en matière de durabilité. 

A deux mois de l'application, les régulateurs semblent eux-mêmes incertains de l’interprétation pratique à donner aux textes européens.

Un bel été réglementaire s’annonce pour les institutions financières européennes !

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