Omnibus Simplification Package : quels impacts pour les investisseurs ?

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Le "Omnibus Simplification Package" allège les obligations ESG pour les entreprises européennes… mais à quel prix pour les investisseurs ? Moins de données, plus de flou : une vigilance accrue s’impose. Chronique juridique de Julie Guénand, avocate chez Henriot & Associés. 

Le 26 février 2025, la Commission européenne a présenté un ensemble de propositions législatives regroupées sous le nom de « Omnibus Simplification Package », visant à alléger les obligations réglementaires pesant sur les entreprises, notamment en matière de durabilité. Ce projet, qui s’inscrit dans une volonté plus large de relance de la compétitivité européenne, ambitionne de rééquilibrer les objectifs climatiques avec les réalités économiques. Il concerne directement les acteurs financiers, en particulier ceux engagés dans l’investissement durable.

Trois piliers du cadre ESG européen sont visés :

  • La directive sur le reporting de durabilité (CSRD),
  • La directive sur le devoir de vigilance (CS3D),
  • Le règlement Taxonomie verte.

Ce « paquet » contient deux directives : l’une, dite « stop-the-clock », entrée en vigueur le 17 avril 2025, reporte l’application de la CSRD et de la CS3D ; l’autre, encore en discussion, vise à en modifier substantiellement le champ et le contenu. À court terme, ces propositions pourraient simplifier les obligations déclaratives de nombreuses entreprises. Mais à moyen terme, elles posent des questions majeures de lisibilité, de comparabilité et de fiabilité des données ESG, autant de critères décisifs pour les investisseurs.

1. CSRD : un recentrage sur les grandes entreprises

La directive « stop-the-clock » accorde un sursis aux entreprises des vagues 2 et 3 du calendrier, qui ne seront tenues de publier leur premier rapport de durabilité qu’en 2028 ou 2029. La France a déjà transposé ce calendrier par la loi du 2 mai 2025.

Surtout, la Commission européenne propose de relever les seuils d’assujettissement à la CSRD : seules les entreprises de plus de 1 000 salariés, réalisant plus de 50 millions d’euros de chiffre d’affaires ou détenant un total de bilan supérieur à 25 millions, seraient concernées. Le nombre d’entreprises assujetties passerait ainsi de 50 000 à environ 10 000, avec l’exclusion notable des PME cotées.

Pour les investisseurs, cette évolution est doublement significative. D’une part, elle réduit de 80 % le nombre d’émetteurs obligés de publier des données ESG standardisées. D’autre part, elle affaiblit la granularité de l’analyse extra-financière, en particulier pour les portefeuilles diversifiés ou exposés aux petites capitalisations.

Les normes sectorielles seraient abandonnées et les entreprises de moins de 1 000 salariés n’auraient à publier que des données simplifiées, issues d’une norme volontaire (VSME). Par ailleurs, la vérification des rapports de durabilité resterait limitée à un niveau d’« assurance modérée », bien en deçà des standards d’audit financier.

Pour les investisseurs, cette évolution pourrait accroître les risques de greenwashing ou d’asymétrie d’information, notamment sur les valeurs moyennes. Elle pose également la question de l’alignement avec d’autres réglementations européennes, comme le règlement SFDR, qui reposent sur des données de durabilité systématiquement publiées.

2. CS3D : vigilance restreinte à la première ligne

La directive CS3D, qui impose aux entreprises un devoir de vigilance sur leurs impacts en matière de droits humains et d’environnement, voit son calendrier repoussé à 2028. Plus encore, la Commission propose de limiter cette obligation aux partenaires commerciaux directs, écartant les chaînes d’approvisionnement étendues.

Autre nouveauté majeure : la fréquence des évaluations serait espacée, passant d’un rythme annuel à quinquennal, sauf signalement spécifique. En cas de manquements, la seule obligation serait la suspension du contrat, non sa rupture. Enfin, l’obligation d’élaborer un plan de transition climatique serait supprimée.

Pour les investisseurs, ces modifications réduisent la portée et la robustesse des dispositifs de vigilance. Elles pourraient rendre plus difficile la détection des risques extra-financiers dans les chaînes de valeur, en particulier dans les secteurs à fort impact comme la mode, l’extraction ou l’agroalimentaire. Elles affaiblissent également l’utilité de la CS3D comme outil de gestion des risques ESG dans les stratégies d’investissement durable.

3. Règlement Taxonomie : simplification ou dilution ?

Le règlement Taxonomie, qui identifie les activités économiques durables, serait également allégé. L’obligation de reporting complet serait limitée aux grandes entreprises de plus de 1 000 salariés réalisant plus de 450 millions d’euros de chiffre d’affaires. Le nombre d’informations exigées serait réduit de 70 %, et il serait possible de déclarer des activités à conformité partielle, afin d’encourager les démarches progressives.

Pour les investisseurs, la réduction du champ et du détail des données publiées pourrait nuire à la lisibilité de l’alignement d’un portefeuille avec la Taxonomie verte. L’introduction d’un seuil de conformité partielle, bien que pragmatique, rendra les comparaisons plus difficiles et pourrait remettre en cause la crédibilité des indicateurs d’impact environnemental.

Conclusion : entre respiration réglementaire et nouveaux angles morts

Ce paquet Omnibus offre aux entreprises une bouffée d’oxygène bienvenue, en particulier pour les structures moyennes ou fortement exposées aux coûts de conformité. Il répond à une critique récurrente : la disproportion entre les exigences de reporting et les moyens disponibles pour y répondre efficacement.

Mais pour les investisseurs, cette simplification s’accompagne de risques accrus. Réduction du périmètre d’information, audits moins fiables, visibilité amoindrie sur les chaînes d’approvisionnement : autant de facteurs qui pourraient affaiblir l’analyse ESG, alors même que la demande de données de qualité n’a jamais été aussi forte.

En attendant l’adoption définitive du texte par le Parlement et le Conseil européens, les investisseurs doivent adapter leurs outils de due diligence et réévaluer les critères de sélection ESG dans leurs portefeuilles. Une vigilance accrue est de mise, notamment sur les entreprises qui sortiront du champ des obligations. Car si les contraintes diminuent, les attentes du marché, elles, ne faiblissent pas.

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