Une mise hors de cause qui interroge sur l’opportunité des poursuites

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Soupçonné de manquement d'initié par le collège de l'AMF (Autorité des Marchés Financiers), Pierre-Antoine Capton, le PDG de Mediawan, vient d'être mis hors de cause par la commission des sanctions (CDS) du régulateur. Chronique juridique de Frank Martin Laprade, avocat associé du cabinet Jeantet, enseignant chercheur associé à l'Université Paris Saclay.

Les mises hors de cause accordées par la commission des sanctions de l’AMF sont suffisamment rares pour mériter un commentaire : nous nous garderons bien de critiquer la décision prise à l’égard du PDG de Mediawan, d’autant que le président de l’AMF dispose encore d’un mois et demi pour former un éventuel recours, au nom de l’organe de poursuite (collège), mais il est certain que l’organe de jugement, la CDS lui a infligé un camouflet, qu’il partage toutefois avec la direction des enquêtes et du contrôle.

D’après la Charte de l’enquête (laquelle est toutefois dépourvue de toute portée impérative à l’égard des services de l’AMF, si bien qu’on peut y voir l’expression d’une théorie un peu idéaliste) : « Le principe de loyauté impose de conduire les enquêtes à charge et à décharge afin de recueillir et d’intégrer, dans le rapport ou le dossier d’enquête, les éléments de fait, les documents et les arguments de nature à caractériser les manquements mais également ceux propres à en réduire la portée ou à en écarter l’existence»

Du reste, s’il y est également précisé que « Le dossier d’enquête doit comporter tous les éléments à charge ou à décharge, quel que soit leur support, ayant contribué au déroulement de l’enquête », il n’en demeure pas moins que « Les résultats des enquêtes et des contrôles font l'objet d'un rapport écrit. Ce rapport indique notamment les faits relevés susceptibles de constituer des manquements aux règlements européens, au présent code, au code de commerce, au règlement général de l'Autorité des marchés financiers et aux règles approuvées par l'Autorité, des manquements aux autres obligations professionnelles ou une infraction pénale. »[1]

Dans ces conditions, on se demande bien sur quels éléments matériels le Collège s’est fondé pour décider - au vu du rapport d’enquête – qu’il lui paraissait opportun d’engager des poursuites à l’encontre du PDG de Mediawan, en le soupçonnant d’avoir transmis une information privilégiée à deux personnes qui l’auraient utilisée afin de réaliser des plus-values, sa qualité d’initié primaire l’exposant en outre à une plus grande sévérité que les autres (le représentant du collège a requis une amende de 110.000 euros contre l’auteur de la prétendue transmission et « seulement » 100.000 et 50.000 euros contre les supposés utilisateurs[2]).

En effet, s’agissant de l’indice relatif à un circuit plausible de transmission de l’information (dont il n’est pas contesté qu’elle était privilégiée et détenue par le PDG de Mediawan), si les personnes mises en cause avaient effectivement dîné et/ou déjeuné ensemble, il a été explicitement relevé par la commission des sanctions que : « le dossier ne comporte aucun élément qui pourrait démontrer qu’ils auraient, avant ou même après les faits litigieux, échangé sur [Mediawan] ou sur la situation de cette société, ni sur aucun investissement financier que l’un ou l’autre aurait réalisé ou aurait eu en projet »[3].

De même, il est impitoyablement suggéré que la poursuite n’a pas pris assez de recul dans son analyse des rapports unissant le PDG de Mediawan aux deux prétendus bénéficiaires de confidences qui – si elles étaient avérées - l’auraient exposé à 5 ans de prison et 100 millions d’euros d’amende[4] :

  1. en ce qui concerne le premier, la CDS observe qu’ils « n’étaient amis que depuis huit mois et qu’aucun élément du dossier ne démontre qu’ils aient eu des conversations ou des échanges sur leurs investissements respectifs ou sur la société [Mediawan] »[5] ; et
  2. en ce qui concerne le second, il est souligné qu’ « aucun élément du dossier ne permet de considérer qu’ils entretenaient une relation personnelle ou d’amitié au moment de l’investissement litigieux. »[6] 

Au passage, l’organe de jugement n’hésite pas à égratigner aussi le sérieux des diligences accomplies par les enquêteurs de l’AMF : non seulement « l’usage du terme « mentor » dans un message adressé par M. Miserez [au PDG de Mediawan] incluant un émoticône de clin d’oeil n’est pas suffisamment probant » [7], mais « la conversation WhatsApp mentionnée dans les notifications de griefs pour démontrer cette relation personnelle, ainsi que l’usage entre eux du tutoiement, n’est pas versée au dossier » [8].

Pour autant, la conviction de la CDS semble avoir été emportée par des arguments qui ne valent que pour une défense contre une accusation de manquement tenant à la transmission d’information privilégiée de la part du PDG de Mediawan :

  1. il est ainsi indiqué que « les explications apportées par M. A sont cohérentes et convaincantes. Il apparaît au surplus peu probable au regard de ces éléments, et en particulier de la décision [du PDG de Mediawan], le 11 juin 2020, de différer l’initiation de collaborateurs occupant des fonctions importantes au sein du groupe [Mediawan] pour préserver la confidentialité de l’opération, qu’il ait communiqué l’information privilégiée en cause à M. B en présence de leurs épouses respectives et dans un lieu public. »[9] ;
  2. même remarque pour l’autre personne mise en cause, compte tenu « de l’inscription, le 21 juin 2020 à la veille de l’opération, de M. Miserez sur la liste des personnes à prévenir de l’opération par courtoisie » ce qui semble pour le moins contradictoire avec l’hypothèse selon laquelle - dès le 11 juin 2020 - « il ait communiqué l’information privilégiée en cause à M. Miserez, avec lequel il n’entretenait qu’une relation professionnelle, à la terrasse d’un restaurant, soit dans un lieu public très fréquenté. » [10]

En revanche, il est heureux que le PDG de Mediawan (dont les frais de défense ne seront pas pris en charge par l’AMF, malgré l’échec de la procédure de sanction que celle-ci a initiée contre lui) n’ait pas été poursuivi pour un manquement tenant à l’incitation, voire à la simple « recommandation », lesquelles n’impliquent pas la communication d’une information privilégiée, si bien que les considérations liées au maintien de la confidentialité (dont il est affirmé – sans la moindre démonstration, alors que c’est loin d’être évident – qu’elle aurait été indispensable pour garantir la réussite de l’OPA à laquelle le PDG de Mediawan était personnellement intéressé) auraient alors été dépourvues de toute pertinence.

[1]Article R 621-36 du code monétaire et financier

[2] www.latribune.fr (5 avril 2024) « L’AMF soupçonne le patron de Mediawan et deux de ses proches de manquements d’initiés »

[3] Décision CDS du 15 mai 2024 - SAN 2024-04 (§86)

[4] Article L 465-1 du code monétaire et financier

[5] Décision CDS du 15 mai 2024 - SAN 2024-04  (§89)

[6] Décision CDS du 15 mai 2024 - SAN 2024-04 (§116)

[7] Décision CDS du 15 mai 2024 - SAN 2024-04 (§116)

[8] Décision CDS du 15 mai 2024 - SAN 2024-04 (§116)

[9] Décision CDS du 15 mai 2024 - SAN 2024-04 (§88)

[10] Décision CDS du 15 mai 2024 - SAN 2024-04 (§136)

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