L'AMF (Autorité des Marchés Financiers), qui met régulièrement en garde contre les prétendus dangers des obligations hybrides comme les OCABSA (obligations convertibles en actions avec bons de souscription d'actions), vient de condamner Auplata et ABO, deux sociétés utilisatrices de ces instruments financiers. Chronique juridique de Frank Martin-Laprade, avocat à la Cour et partner du cabinet Jeantet, enseignant-chercheur associé à l'Université Paris Sud (XI).
Une chose est sûre : l’AMF n’aime pas les OCABSA et toutes les « autres formes d’equity lines particulières » c’est-à-dire celles qui ne sont pas réservées à des Prestataires de Services d’Investissement (PSI) disposant d’un agrément de prise ferme, comme c’est le cas pour les PACEO (Société Générale puis KCF[1])
Problème : non seulement ces produits financiers sont légaux (ce que l’AMF est bien forcée de reconnaître, sans quoi cela ferait belle lurette qu’elle les aurait interdits, au lieu de leur consacrer une doctrine[2]), mais surtout ils sont souvent le seul moyen à la disposition des (petites) sociétés cotées très gourmandes en cash pour se développer (c’est le cas de nombreuses start-up ou biotech par exemple)[3]
On peut même avancer que les « equity lines » sont l’incarnation parfaite des avantages offerts par la Bourse en matière de financement des émetteurs cotés[4], puisque l’existence d’un marché secondaire, sur lequel les titres de capital pourront être revendus, rassure les investisseurs qui acceptent donc de prêter (gratuitement, puisqu’il n’y a pas de taux d’intérêt) des millions d’euros, lesquels ne leur seront remboursés qu’en papier…
Faire rimer dilution avec danger
La contrepartie d’un tel financement en fonds propres (equity) est certes que les actionnaires existants seront dilués - c’est d’ailleurs le cas de toutes les augmentations de capital auxquelles on ne participe pas - mais chacun est libre de maintenir - tout de même - son pourcentage individuel en rachetant des actions sur le marché.
C’est la raison pour laquelle l’AMF a tort de faire rimer « dilution » avec « danger » - contre lequel elle met en garde les émetteurs, leurs actionnaires et leurs dirigeants avec beaucoup d’emphase, comme si c’était une catastrophe[5] - alors qu’en réalité l’émission d’actions nouvelles signifie surtout que l’entreprise est désormais plus riche qu’avant, à hauteur des (fortes) sommes qui lui ont été apportées en numéraire, si bien que c’est plutôt une excellente nouvelle pour tous ceux qui spéculent sur la réussite de ses projets (ceux qu’il lui fallait financer) d’autant que son endettement n’aura pas été creusé à cette occasion !
Dans ces conditions, si la revente des actions attribuées au créancier obligataire s’accompagne fréquemment d’une baisse des cours, ce n’est évidemment pas de la faute de cet investisseur, qui avait tout intérêt à ce que les prix montent : en revanche, cela vient sans doute de ce que les autres acteurs du marché ont cherché à profiter de l’aubaine pour se procurer des titres à bas prix (en pariant sur l’impatience de l’investisseur à rentrer dans ses fonds, ce qui le poussera souvent à accepter de baisser son propre prix de vente).
Changement de tactique
Force est de constater que l’AMF ne voit pas les choses ainsi, mais elle a apparemment décidé de changer de tactique : finies les recommandations non-contraignantes (soft law), puisque sa commission des sanctions vient de condamner à la fois un émetteur (Auplata) et un investisseur (ABO) en les désignant à l’opprobre public comme les auteurs d’un abus de marché (diffusion d’information fausse ou trompeuse pour l’un et manipulation de cours pour l’autre)[6].
Ce faisant, il se pourrait bien toutefois que l’AMF ait abusé de son pouvoir, dans la mesure où sa volonté de condamner (financièrement) les utilisateurs d’OCABSA et de fragiliser (sciemment) leur activité économique - en leur infligeant de lourdes sanctions (près de 4 millions d’euros au total) qui font croire à tout le monde (et notamment à leurs banques) qu’ils se sont rendus coupables d’infractions graves (alors que ce n’est pas le cas) - l’a visiblement poussée à travestir la réalité :
- S’agissant d’Auplata, accusée de mensonge parce qu’elle n’a pas détaillé (dans son communiqué de presse de 11 pages) le mécanisme contractuel par lequel elle s’était assurée de pouvoir bénéficier des 50 millions d’euros nécessaires à la construction d’une usine permettant d’exploiter un site aurifère en Guyane, et ce quel que soit le niveau de son cours, l’AMF parle d’une clause coûteuse retirant tout intérêt au contrat, alors qu’en pratique, Auplata n’a jamais déboursé un (seul) centime et qu’elle a - au contraire - pu échapper à la faillite grâce aux obligations hybrides (ODIRNANE) souscrites par ABO ;
- S’agissant d’ABO[7], son fondateur (Pierre Vannineuse) a été injustement accusé d’avoir précipité la chute des cours de bourse d’Auplata en inondant le marché par des ventes « massives » (sic), alors que l’AMF sait très bien qu’en moyenne ces ventes n’ont représenté qu’à peine 21 % des volumes quotidiens[8], ce qui est - à l’évidence - insuffisant pout fixer les cours à un niveau anormal ou artificiel, sachant en outre qu’ABO n’a pas retiré le moindre avantage économique (trésorerie nette négative) sur la période litigieuse[9]
Il n’y a donc plus qu’à espérer que les juges de la cour d’appel de Paris – qui a naturellement été d’ores et déjà saisie d’un recours contre la décision administrative prise par la commission des sanctions - rétabliront la vérité, en mettant hors de cause toutes les victimes collatérales de la croisade de l’AMF contre les OCABSA.
[1] Conseillés par Jeantet
[2] F. Martin Laprade, Actualisation de la doctrine AMF en matière d’equity lines : une clarification raisonnable et bienvenue, Bull. Joly Bourse - Avril 2016, p.160
[3] F. Martin Laprade, A quoi rime la nouvelle mise en garde de l’AMF contre des financements très prisés par de nombreuses start up françaises ?, Avis d’expert - Finascope.fr - 8 novembre 2022
[4] F. Martin Laprade, L'equity line à la française (en collaboration avec D. Borde), Revue de Droit Bancaire et Financier n°4, Juillet - Août 2001.
[5] CP AMF 20 juillet 2020 : « L'AMF invite les émetteurs à être vigilants avant de recourir au financement par OCABSA et autres formes d’equity lines particulières. S’il peut paraître attractif, ce mode de financement comporte des risques très significatifs, à la fois pour l’émetteur, les actionnaires et les investisseurs. »
[6] CDS - Décision AMF du 11 décembre 2024 (SAN 2024-11)
[7] Conseillé par Jeantet
[8] Rapport d’enquête : « Entre le 2 novembre 2017 et le 14 mars 201957, le fonds EHGO a cédé 644 692 778 actions Auplata et en a acquis 85 530 552 en se basant sur les dépouillements fournis par EHGO. Sur l’ensemble de ces titres, selon les trois dépouillements fournis par les brokers, 642 779 021 actions Auplata ont été vendues sur Euronext Paris et 86 861 001 ont été achetées sur ce même marché, représentant 21,23 % des titres échangés à la vente et 2,87 % des titres échangés à l’achat. »
[9] (20 novembre / 27 décembre 2017)