La donnée au cœur de la révision de MiFID II

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Chronique juridique de Sébastien Praicheux, docteur en Droit, avocat à la Cour, associé, Norton Rose Fulbright LLP[1]

La publication au Journal Officiel de l'Union européenne du règlement MiFIR II (UE) 2024/791 et de la révision de la directive MiFID II (UE) 2024/790 s’inscrit dans un contexte européen de facilitation de l’accès et de partage accru des données. L’Open Banking a été largement facilité par la seconde directive sur les services de paiement (DSP2) [2] puis renforcé par le projet de troisième directive (DSP3) ainsi que la proposition de règlement « FIDA » [3].

De nombreux textes de second niveau à l’échelle européenne doivent encore être adoptés et font l’objet de plusieurs consultations en cours de l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF / Esma) notamment sur la transparence des obligations, les données de marché, les produits dérivés de matière première, les données de référence et la synchronisation des horloges.

Moteur de développement

Bien des signes montrent que la France est un moteur de ce développement dans l’Union Européenne : il y a deux ans, par exemple, l’AMF élargissait sous format standardisé le champ des données de marché partagées avec le public. L’Open Data est même au cœur de la réussite française de la Fintech, des paiements et à présent des actifs numériques grâce, notamment, au développement de solutions fondées sur la technologie de registres décentralisés (blockchain) de titres, de parts de fonds et bien entendu d’actifs numériques ainsi que l’ont encore souligné des représentants de Business France, d’Hello Lille et Nord France Invest, lors d’un événement londonien sur le sujet éponyme, le 19 mars dernier sous l’égide de Norton Rose Fulbright.

La qualité de la donnée financière et la vélocité d’accès à celle-ci sont devenues l’enjeu majeur de la concurrence entre places et permettent, sur un plan règlementaire, un renforcement de la transparence des transactions, dont le régime se trouve à nouveau modifié par ces textes.

Il est d’ailleurs question de la donnée dès le premier considérant de MiFID II : la Commission exprime sa volonté de créer un flux électronique de données actualisées en continu.

Accès à des informations exactes

Les changements induits par la révision du « paquet » MiFID viennent en réalité du constat selon lequel les données de négociation se trouvent disséminées auprès d’un très grand nombre de plateformes, rendant plus difficile l’accès par les investisseurs à des informations exactes, pertinentes et actualisées, nécessaires pour leur permettre de prendre rapidement des décisions éclairées.

Cette réforme règlementaire européenne d’envergure a pour ambition de centraliser la fourniture de données aussi proches que possibles du temps réel, relatives à des transactions à l’échelle de l’Union européenne, sur les éléments clés des transactions fondant la décision d’investissement : prix des instruments, volume, date et heure des transactions.

Dans les mois à venir, tous les efforts de l’Autorité Européenne des Marchés Financiers (AEMF / ESMA) porteront, en la matière, sur la sélection des opérateurs collectant les données et chargés de les rendre accessibles sous forme de flux continu (CTP ou Consolidated Tape Provider). A l’issue d’un processus de consultation de cette autorité, une seule entité devrait être autorisée à exercer l’activité de CTP par catégorie d’instruments financiers.

Reste à s’accorder sur les solutions techniques, le modèle économique, mais aussi, comme l’AMF l’a souligné il y a deux ans, sur la mise en place d’une gouvernance, les modalités d’accès des prestataires de pays tiers, et la détermination d’un mode de financement durable promouvant la qualité de la donnée. Cette même question de la qualité et de la pertinence de la donnée se pose à l’heure des choix portant sur l’adoption d’un corps de règlementation spécifique à l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le domaine bancaire et financier.

Renforcement nécessaire

Un renforcement de ces exigences est nécessaire pour mettre en œuvre le nouveau cadre européen de la transparence pré-négociation et post-négociation des actions, des instruments assimilés et des autres types d’instruments financiers. Des textes de niveau 2 sont attendus sur le sujet de la transparence, notamment sur celle des marchés actions, d’ici mars 2025, puis celle des dérivés et des obligations, pour octobre 2025. La transparence pré-négociation consiste en la déclaration du prix et du volume d’opérations projetées. Cette obligation de transparence connait des exceptions, en cas d’ordres de taille élevée, de transactions négociées ou sur la base d’un prix de référence « importé » d’un marché réglementé ainsi que pour les ordres dits « iceberg ».

Concernant les dérogations fondées sur la base d’un prix de référence « importé » d’un marché réglementé et les transactions négociées, ces exemptions font l’objet d’un mécanisme de plafonnement des volumes réduisant la proportion de transactions bénéficiant de ces dérogations. Par ailleurs, l’obligation de négociation a été renforcée par la suppression de l’exemption pour activités habituelles, qui était prévue à l’article 23 de MiFIR. Cette suppression intervient alors que l’AEMF et l’AMF avaient considéré que cette exception était trop complexe et devait être simplifiée.

La transparence post-négociation vise la publication des opérations déjà réalisées de la façon la plus proche possible du temps réel.  Ainsi, les exceptions qui y sont liées ne permettent en principe que de différer la publication de ces informations. La révision de MiFID II a modifié ces exceptions. En effet, ainsi qu’il est mentionné au neuvième considérant du règlement révisant MiFIR, les autorités nationales disposaient d’un pouvoir discrétionnaire qui leur permettait de définir les durées de report et les détails des transactions bénéficiant d’une publication différée. Cette situation a donné lieu à des divergences de pratiques entre autorités nationales et aurait rendu le système de transparence post-négociation inefficace et complexe. Afin de renforcer et d’harmoniser l’obligation de transparence post-négociation, le pouvoir discrétionnaire des autorités nationales a donc été généralement supprimé, pour les obligations, les produits financiers structurés et les quotas d’émission.

Par ailleurs, le onzième considérant de la directive révisant MiFID rappelle à cet égard que la qualité des données est de la plus haute importance ; un article 22 ter a même été ajouté à MiFIR à cet effet. L’AMF en a également fait l’une de ses priorités de supervision et a été conduite à souligner, en février dernier, les erreurs fréquentes qu’elle a relevées dans le cadre de la campagne de vérification de la qualité des données.

Enfin, l’ensemble de ces informations a vocation à être rassemblé par le CTP. C’est dire le rôle fondamental joué par ce dernier dans la gestion européenne des données financières, dont l’impact peut être systémique, et devenu l’enjeu majeur des autorités financières pour les prochaines années.

[1] L’auteur tient à remercier Mme Léa Nguyën-Phuoc pour son aide précieuse dans la préparation de cet article.

[2] Directive (UE) 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur

[3] Proposition de Règlement du Parlement européen et du Conseil relatif à un cadre pour l’accès aux données financières (FIDA ou « Financial Data Access » en anglais)

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