La « sollicitation inversée » : l’examen de cette exemption par l’Autorité européenne des marchés financiers

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Chronique juridique d'Arnaud Touati, avocat associé du cabinet Hashtag Avocats et Célia Neveux, juriste du cabinet Hashtag Avocats.

L’Autorité européenne des marchés financiers (AEMF ou Esma) a publié le 29 janvier 2024 un projet de lignes directrices mettant en avant l’exemption de « sollicitation inversée » en vertu du règlement sur les marchés de crypto-actifs[1] (MiCA).

Cette exemption permet à une entreprise d’un pays tiers de recevoir un « passe-droit » lui permettant de fournir des services liés aux crypto-actifs à un client qu’il l’a sollicité directement, sans l’obligation d’être agréée conformément au règlement MiCA.

La consécration de cette exemption

Tout d’abord, il faut noter que l’article 61-3 du règlement MiCA dispose qu’« L’AEMF émet, au plus tard le 30 décembre 2024, des orientations conformément à l’article 16 du règlement (UE) n°1095/2010 visant à préciser dans quelles circonstances une entreprise d’un pays tiers est réputée démarcher des clients établis ou situés dans l’Union.

Afin de favoriser la convergence et de promouvoir une surveillance constante du risque d’abus du présent article, l’AEMF émet également des orientations conformément à l’article 16 du règlement (UE) n°1095/2010 sur les pratiques en matière de surveillance permettant de détecter et de prévenir le contournement du présent règlement ».

Au regard de cet article, le projet de lignes directrices publié par l’AEMF vient préciser les situations dans lesquelles une entreprise d’un pays tiers est réputée solliciter des clients établis ou situés dans l’Union européenne (UE).

Pour cela, il faut retenir que les entreprises de pays tiers ne peuvent solliciter des clients dans l’Union européenne car ils ne sont pas autorisés à fournir des services PSCA (prestataires de services sur crypto-actifs) sauf si le client, de sa propre initiative, a contacté l’entreprise et a demandé le service, alors dans ce cas, l’entreprise de pays tiers pourra fournir ledit service.

Cette exemption de sollicitation inversée est donc en réalité une interdiction pour les entreprises de pays tiers, de solliciter des clients établis ou situés dans l’UE.

L’enjeu de cette exemption est noté à l’article 61-1 du règlement MiCA qui précise que « Lorsqu’un client établi ou situé dans l’Union lance, sur son initiative exclusive, la fourniture d’un service ou d’une activité sur crypto-actifs par une entreprise d’un pays tiers, l’obligation de disposer de l’agrément prévu à l’article 59 ne s’applique pas à la fourniture de ce service ou de cette activité sur crypto-actifs par l’entreprise d’un pays tiers à ce client, ni à une relation spécifiquement liée à la fourniture de ce service ou de cette activité sur crypto-actifs ».

L’étendue de l’exemption de sollicitation inversée

Pour s’assurer que les entreprises soumises au règlement MiCA ne soient pas désavantagées et que les clients de ces entreprises bénéficient de leurs droits, il est important de protéger les investisseurs basés dans l’Union européenne.

A ce titre, le projet de lignes directrices précise que le terme « sollicitation » doit être interprété de la manière la plus large possible et doit revêtir un caractère neutre sur le plan technologique. Ce terme inclut donc la promotion, la publicité ou encore l’offre de services ou d’activités liés aux crypto-actifs. Cette sollicitation représente donc toute forme de moyen physique ou électronique, y compris les plateformes de médias sociaux et les applications mobiles pour de nombreuses actions comme la publicité sur internet, les brochures, les communiqués de presse, les invitations à des évènements, etc…

L’étendue de la « personne qui sollicite »

L’AEMF donne une interprétation large de la « personne qui sollicite ». Ainsi, la sollicitation peut avoir lieu quelle que soit la personne par l’intermédiaire de laquelle elle est effectuée. Cela comprend :

  • L’entreprise du pays tiers elle-même ;
  • Toute entité ou personne agissant explicitement ou implicitement pour le compte de l’entreprise du pays tiers ou ayant des liens étroits avec elle (notamment des « influenceurs »).

Les actions de ces tiers peuvent être :

  1. L’orientation du public vers le site web de l’entreprise du pays tiers ;
  2. La fourniture des moyens d’accès aux services offerts par l’entreprise du pays tiers ;
  3. L’offre d’opérations promotionnelles ou l’affichage du logo d’une entreprise d’un pays tiers.

A noter que cette relation ne doit pas nécessairement être une relation contractuelle et peut être explicite ou implicite.

Pour exemple, si un tiers fait une campagne de marketing ou développe le profil de l’entreprise du pays tiers dans l’Union, cette dernière ne pourra prétendre qu’il n’y a pas eu sollicitation et donc se fonder sur l’article 61 du règlement MiCA.

L’AEMF note également que le démarchage effectué au nom de l’entreprise d’un pays tiers par une personne ou une entité réglementée dans l’Union européenne doit toujours être considéré comme une infraction au règlement MiCA. A titre d’exemple, un établissement de crédit de l'Union européenne ne doit pas rediriger ses clients vers des services de paiement fournis par une entreprise d'un pays tiers.

Les limites de cette exemption

Pour que cette exemption soit valide il faut une « initiative exclusive » de la part du client. Cette notion doit quant à elle être interprétée de manière restrictive.

En effet, l’entreprise d’un pays tiers qui remplit les conditions pour se prévaloir de cette exemption doit respecter certains critères :

  • Elle ne bénéficiera de cette exemption que dans une très courte période (durée qui n’est pas encore précisée ou qui sera laissé à l’appréciation des instances) ;
  • Elle ne sera pas autorisée à proposer ultérieurement au client d’autres crypto-actifs ou services, à moins qu’ils ne soient proposés dans le cadre de la transaction initiale ;
  • Elle n’aura pas une exemption illimitée. Le projet de lignes directrices ne prévoit pas de délai précis pendant lequel l’exemption peut être utilisée, l’écoulement d’un mois ou même de quelques semaines et une offre ultérieure par l’entreprise exclurait l’application de cette exemption.

De ce fait, pour savoir si l’entreprise d’un pays tiers commercialise un nouveau type de crypto-actifs (de services ou d’activités liés à cela), une évaluation au cas par cas sera mise en œuvre. Pour ce faire, il faut prendre en compte :

  • Le type de crypto-actifs ou de services ou activités liés aux crypto-actifs proposés ;
  • Les risques liés aux nouveaux crypto-actifs ou services ou activités liés aux crypto-actifs.

Pour le moment, le règlement MiCA ne prévoit que trois grandes catégories de crypto-actifs : les jetons référencés par des actifs, les jetons de monnaie électronique et les crypto-actifs autres que les jetons référencés par des actifs et les jetons de monnaie électronique.

S'appuyer sur des catégories aussi larges permettrait aux entreprises de pays tiers de contourner l'exemption pour sollicitation inversée qui, comme indiqué ci-dessus, doit être interprétée de manière très étroite. Ainsi, il n’est pas possible de se baser que sur ce critère.

Ce projet de lignes directrices dresse sur ce point une liste non exhaustive de paires de crypto-actifs qui ne doivent pas être considérés comme appartenant au même type de crypto-actifs aux fins de l’exemption pour sollicitation inversée, telles que des jetons d'utilité, des jetons référencés par des actifs ou des jetons de monnaie électronique ou encore les crypto-actifs qui ne sont pas stockés ou transférés à l'aide de la même technologie.

Les pratiques de surveillance

Pour détecter et prévenir le contournement de l’exemption de sollicitation inversée, des pratiques de surveillance ont été définies pour assurer la conformité avec le règlement MiCA.

Ces pratiques de surveillance comprennent :

  • Le contrôle des activités de marketing ciblant les clients établis dans l’Union européenne ;
  • Les enquêtes auprès des consommateurs ;
  • La coopération avec d’autres autorités ;
  • La réaction aux plaintes des clients ou aux dénonciations.

Il faudra attendre la fin de l’année 2024 et la publication du rapport final de l’AEMF pour connaitre sa position finale sur ces questions.

[1] RÈGLEMENT (UE) 2023/1114 DU PARLEMENT EUROPÉEN ET DU CONSEIL du 31 mai 2023 sur les marchés de crypto-actifs, et modifiant les règlements (UE) 1093/2010 et (UE) 1095/2010 et les directives 2013/36/UE et (UE) 2019/1937

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