La clause de déchéance du terme d’un prêt peut-elle être abusive?

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Chronique juridique de Clément Vandevooghel, avocat au Barreau de Paris, Counsel chez Gide Loyrette Nouel A.A.R.P.I et Agathe Llorens, avocat au Barreau de Paris, collaboratrice chez Gide Loyrette Nouel A.A.R.P.I

Dans les contentieux relatifs aux créances non performantes résultant de prêts immobiliers, il n'est pas rare aujourd'hui que les débiteurs opposent le caractère abusif des clauses de déchéance du terme. La première chambre civile de la Cour de cassation, par deux arrêts rendus le 22 mars 2023, a eu l'occasion de donner une grille de lecture sur le caractère abusif de ces clauses.

Caractérisation de la clause abusive

L'article L. 132-1 du Code de la consommation (devenu l'article L. 212-1 du Code de la consommation) est au cœur de ces deux litiges. Selon ce texte, dans les contrats conclus entre professionnels et consommateurs, sont abusives les clauses qui ont pour objet ou pour effet de créer, au détriment du consommateur, un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat.

Les faits dans ces deux affaires sont très similaires. Dans la première affaire (pourvoi n°21-16.476), une banque a consenti un prêt immobilier résidentiel à une personne physique comportant une clause autorisant la banque à exiger par anticipation la totalité des sommes dues au titre du prêt en cas de défaut de paiement d'une mensualité, sans mise en demeure ou sommation préalable ni préavis. A la suite d’un défaut de paiement de l’emprunteur, la banque lui a délivré un commandement aux fins de vente forcée et le tribunal de l'exécution forcée en matière immobilière a ordonné la vente des immeubles garantis.

Dans la seconde affaire (pourvoi n°21-16.044), une banque a consenti un prêt immobilier à un couple d’emprunteurs, dont le contrat de prêt comportait une clause de déchéance du terme pouvant être mise en jeu huit jours après une mise en demeure restée infructueuse adressée aux emprunteurs en cas de défaut de paiement. Après avoir constaté le défaut de paiement et adressé une mise en demeure et prononcé la déchéance du terme, la banque a engagé une procédure d'exécution forcée sur les immeubles appartenant aux emprunteurs.

Dans ces deux affaires, les emprunteurs ont alors invoqué le caractère abusif de la clause de déchéance du terme.

La Cour de cassation a effectivement retenu le caractère abusif de ces clauses de déchéance du terme au motif que « la clause qui prévoit la résiliation de plein droit du contrat de prêt après une mise en demeure de régler une ou plusieurs échéances impayées sans préavis d'une durée raisonnable, crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur ainsi exposé à une aggravation soudaine des conditions de remboursement ».

La Cour de cassation rappelle que l'appréciation du caractère abusif d’une clause ne peut porter ni sur la définition de l'objet principal du contrat ni sur l'adéquation du prix au bien vendu ou de la rémunération au service offert, pour autant que cette clause soit rédigée de façon claire et compréhensible.

Pour fonder ses décisions et dans un souci pédagogique, la Cour de cassation rappelle également la position de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), issue de l’arrêt « Banco Primus » du 26 janvier 2017[1], interprétant la directive 93/13/CEE sur les clauses abusives[2] et qui établit quatre critères pour apprécier le caractère abusif d’une clause relative à la déchéance du terme en raison de manquements du débiteur à ses obligations. Ces quatre critères sont :

  1. le caractère essentiel ou non de l’obligation inexécutée par le consommateur ;
  2. la gravité de l’inexécution au regard de la durée et du montant du prêt ;
  3. le caractère dérogatoire ou non au droit commun applicable sans une telle clause ; et
  4. la prévision par le droit interne de moyens adéquats et efficaces pouvant laisser au consommateur le soin de remédier aux effets de cette exigibilités.

Ces critères ont fait l’objet d’une question préjudicielle, posée par la première chambre civile de la Cour de cassation en 2021[3], qui s’interrogeait sur leur caractère cumulatif ou alternatif. Dans les décisions de 2023, la Cour de cassation évoque donc la réponse apportée par la CJUE dans son arrêt du 8 décembre 2022[4] qui énonce que les quatre critères ne sont ni alternatifs, ni cumulatifs, et qu’ils doivent être pris en compte « comme faisant partie de l'ensemble des circonstances entourant la conclusion du contrat concerné, que le juge national devait examiner afin d'apprécier le caractère abusif d'une clause contractuelle ». Cette réponse de la CJUE fait donc de ces critères un faisceau d’indices permettant de déterminer le caractère abusif ou non d’une clause de déchéance du terme. Cela signifie aussi que le juge doit vérifier l’ensemble de ces critères et déterminer in concreto le caractère abusif de la clause.

En rappelant ces éléments, la Cour de cassation souligne l'importance pour les juges de tenir compte du contexte global de la conclusion du contrat et de l'ensemble des circonstances entourant les parties, pour s'assurer que les consommateurs ne soient pas placés dans une position désavantageuse.

Une protection accrue des consommateurs

Les décisions du 22 mars 2023 reflètent la tendance actuelle d’une protection renforcée des consommateurs, qui s’illustre notamment par l’obligation pour les juges du fonds de vérifier d'office le caractère abusif des clauses en jeu.

Dans la première affaire, la Cour de cassation reproche en effet à la cour d’appel de ne pas avoir procédé à un examen d’office du caractère éventuellement abusif de la clause de déchéance du terme. Cette approche en matière de clauses abusives n’est pas surprenante dans la mesure où elle avait déjà été retenue par la Cour de cassation dans une décision du 8 février 2023[5], reprenant la solution dégagée par la CJUE selon laquelle « les juridictions nationales ont l'obligation d'examiner d'office si les stipulations convenues entre les parties présentent un caractère abusif »[6].

En revanche, dans la seconde affaire, la Cour d’appel avait bien procédé à l’analyse de la clause de déchéance du terme mais avait considéré qu’elle n’était pas abusive, estimant que « la déchéance du terme a été prononcée après une mise en demeure restée sans effet précisant le délai dont les emprunteurs disposaient pour y faire obstacle et que la clause prévoyait la sanction du non-respect de l'obligation principale du contrat de prêt, conformément au mécanisme de la clause résolutoire ». Pour autant, la Cour de cassation a estimé quant à elle que la clause de déchéance du terme était dépourvue de préavis d'une durée raisonnable – en l’espèce de huit jours - créant ainsi un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au détriment du consommateur.

Les établissements de crédit devront donc redoubler de vigilance lors de la rédaction de leurs contrats de crédit afin de tenir compte de ces éléments. La question de l’allocation de ce risque sera sans doute également regardée avec attention par les investisseurs achetant des créances non performantes au sens de la directive (UE) 2021/2167 du 24 novembre 2021[7], qui a récemment fait l’objet d’une transposition en droit français par l’ordonnance n° 2023-1139 du 6 décembre 2023.

[1] CJUE 26 janv. 2017, aff. C-421/14, D. 2018. 583.

[2] Directive 93/13/CEE du Conseil, du 5 avril 1993, concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs.

[3] Civ. 1re, 16 juin 2021, n° 20-12.154.

[4] CJUE 8 déc. 2022, aff. C-600/21, D. 2022. 2220.

[5] Com. 8 févr. 2023, n° 21-17.763 , D. 2023. 293.

[6] CJUE 4 juin 2020, aff. C-495/19, Kancelaria Médius, D. 2020. 1228.

[7] Directive (UE) 2021/2167 du Parlement européen et du Conseil du 24 novembre 2021 sur les gestionnaires de crédits et les acheteurs de crédits, et modifiant les directives 2008/48/CE et 2014/17/UE.

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