Le nouveau régime des opérations transfrontalières

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Chronique juridique de Marie-Aude Noury, avocat au Barreau de Paris, associée, Squair A.A.R.P.I.

L’ordonnance n°2023-393 du 24 mai 2023, prise en application de la loi n°2023-171 du 9 mars 2023, transpose en droit français la directive (UE) 2019/2121 du 27 novembre 2019 modifiant la directive (UE) 2017/1132 en ce qui concerne les transformations, fusions et scissions transfrontalières. L’ordonnance a été complétée par le décret n°2023-430 du 2 juin 2023.

Cette transposition était attendue. La France avait jusqu’au 31 janvier 2023 pour transposer et fut mise en demeure le 31 mars 2023 par la Commission européenne de mener à bien la transposition dans les deux mois.

La directive (UE) 2019/2121 du 27 novembre 2019 a modifié la directive (UE) 2017/1132 en vue de permettre aux entreprises de fusionner, se scinder ou se déplacer plus facilement au sein du marché unique, en mettant en place une procédure commune, et en formulant des garanties contre les abus et pour la préservation des droits des parties prenantes.

Une procédure unifiée

L’ordonnance introduit en droit français la scission et la transformation transfrontalières. Ces deux opérations s’appuient sur un socle de règles communes avec la fusion transfrontalière. La scission transfrontalière consiste pour une société à se scinder en plusieurs sociétés immatriculées dans des Etats membres différents.

La transformation transfrontalière consiste en la possibilité pour une société de transférer son siège social dans un autre Etat membre tout en conservant sa personnalité juridique. Jusqu’à présent, la possibilité de transférer le siège social dans un autre Etat membre sans entraîner la dissolution de la personnalité morale n’était ouverte qu’aux seules sociétés ayant le statut de société européenne (SE).

L’ordonnance transpose également des dispositions prévues par la directive concernant la fusion transfrontalière.

Au résultat de la directive et de l’ordonnance, une procédure unifiée s’applique aux fusions, scissions et transformations transfrontalières. Cette procédure s’attache à la fois à assurer une information adéquate (rédaction d’un projet commun d’opération, rapport des dirigeants, vérification par une expertise indépendante) et à protéger les droits des parties prenantes, que sont les associés, les salariés et les créanciers.
A cet effet, un droit de retrait est prévu pour les associés qui s’opposent à l’opération, leur permettant de se faire racheter leurs parts ou actions.

Les salariés doivent être informés et consultés avant l’opération et leur droit de participer aux organes de la société sont préservés à l’issue de l’opération.

Les créanciers dont la créance est née antérieurement au projet d’opération, peuvent faire un recours judiciaire en vue d’obtenir de la société débitrice des garanties.

Le droit de retrait des associés

Le droit de retrait des associés est reconnu pour les fusions transfrontalières en raison du changement de nationalité. Il n’existe pas dans une opération de fusion purement domestique, qui relève de la décision des actionnaires prise à la majorité. Il évoque le droit de retrait des actionnaires en cas de transfert de siège d’une SE.

Ce droit de retrait résultant de la directive est un droit individuel de l’associé, ouvert aux seuls associés de la société absorbée qui sont opposés à l’opération, auxquels ont été assimilés les porteurs d’actions dépourvues ou privées temporairement du droit de vote. Ce droit peut être exercé par l’associé dans les 10 jours suivant l’approbation du projet de fusion par l’assemblée et porte sur l’ensemble des actions qu’il détient au jour de sa demande. En cas d’exercice du droit de retrait, la société formule une offre de rachat à chacun des associés ayant fait la demande. Ce droit de retrait est également ouvert à l’associé d’une société scindée ou transformée qui s’oppose à l’opération transfrontalière.

Dans le cas notamment d’une fusion visant une société cotée, conformément à l’article 236-6 de son règlement général, l’AMF dispose de la faculté de requérir des actionnaires de contrôle le dépôt d’une offre publique de retrait compte tenu des conséquences de l’opération au regard des droits et des intérêts des actionnaires. Une telle offre publique de retrait suppose l’existence d’actionnaires de contrôle, vise l’ensemble des autres actionnaires et ne concerne que les sociétés cotées sur le marché réglementé. Elle est mise en œuvre à la discrétion de l’AMF qui se réserve le soin d’apprécier si la modification des droits des actionnaires résultant de l’opération est telle qu’elle justifie qu’une liquidité soit proposée aux actionnaires minoritaires.

On voit bien que ces deux cas de retrait sont de nature et de portée différentes, bien qu’ils aient vocation potentiellement à coexister. Il sera intéressant de voir à l’avenir la pratique de l’AMF au titre de l’article 236-6 dans le contexte d’opération transfrontalière dès lors que les actionnaires minoritaires ont dans leur main la possibilité de demander une liquidité.

Renforcement du contrôle des opérations transfrontalières

Le contrôle de la conformité et de la légalité de l’opération a été confié en France à une autorité unique, le greffier du tribunal de commerce.

Un contrôle de la conformité de l’opération est assuré au préalable dans l’Etat membre du pays de départ. Ce contrôle devient plus substantiel, le greffier devant s’assurer de l’absence de fraude ou d’abus dans la conduite de cette opération.

Un contrôle de légalité de l’opération est également assuré dans l’Etat membre du pays de destination.

Le nouveau régime s’applique pour tout projet d’opération déposé au greffe du tribunal de commerce à compter du 1er juillet 2023.

De nouvelles techniques en droit interne

Le droit interne est également modifié par l’ordonnance consacrant désormais dans le code de commerce la scission partielle. La scission partielle, telle que prévue par la directive, permet d’attribuer directement les actions perçues en rémunération de l’apport aux associés de la société apporteuse.

Nul doute que ces nouvelles dispositions en droit interne offriront à la pratique des outils innovants pour le rapprochement entre sociétés établies au sein de l’Union européenne.

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