Dans un arrêt rendu le 10 septembre 2025, la Cour de cassation a clarifié les conditions d’application de la loi Pacte de 2019 relatives au recouvrement de créances par les fonds communs de titrisation. Chronique juridique de Clément Vandevooghel, associé chez Morgan, Lewis & Bockius UK LLP.
A l’occasion de la réalisation de certaines opérations d'acquisition de portefeuilles de créances par l'intermédiaire d’un fonds commun de titrisation, le schéma de recouvrement des créances le plus souvent utilisé par les parties repose sur la conclusion d’un contrat de gestion et de recouvrement de créances entre le fonds commun de titrisation concerné, représenté par sa société de gestion, et le cédant des créances en qualité de recouvreur.
Il n’est cependant pas rare, en vertu du pouvoir général de représentation légale du fonds commun de titrisation à l'égard des tiers et dans toute action en justice, que les actions en justice auprès des débiteurs cédés au titre du recouvrement des créances soient intentées directement au nom de la société de gestion du fonds en tant que représentant légal du fonds commun de titrisation, en vertu des dispositions de l'article L. 214-172 du Code monétaire et financier.
A la suite de la promulgation de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite loi Pacte) modifiant la rédaction de l'article L. 214-172 du Code monétaire et financier, un contentieux a pu se développer sur la question de savoir si la possibilité offerte par les dispositions nouvelles de l'article L. 214-172 du Code monétaire et financier de notifier le changement de recouvreur "par tout moyen, y compris par acte judiciaire ou extrajudiciaire" peut être utilisée dans les instances en cours, à savoir les actions en justice intentées antérieurement à l’entrée en vigueur de la loi Pacte.
A ce titre, la chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu un arrêt significatif le 10 septembre 2025, et donne un éclairage bienvenu.
Action en justice intentee anterieurement a la publication d’une loi nouvelle
En l’occurrence, une société avait cédé à plusieurs reprises au cours de l’année 2016 des créances sur un même débiteur à un fonds commun de titrisation. En janvier 2019, la société de gestion du fonds, en tant que représentant légal du fonds commun de titrisation, avait assigné le débiteur en paiement des créances cédées au fonds.
Le débiteur a contesté l’action en paiement et l’intérêt à agir de la société de gestion du fonds au motif que le débiteur n’avait pas été informé du changement de recouvreur par lettre simple, comme cela était prévu par les dispositions (anciennes) de l'article L. 214-172 du Code monétaire et financier alors en vigueur au moment de l’assignation en paiement, et que les dispositions nouvelles de l'article L. 214-172 du Code monétaire et financier permettant de notifier le changement de recouvreur "par tout moyen, y compris par acte judiciaire ou extrajudiciaire" n’étaient pas applicables aux instances en cours, puisque l’article 2 du Code civil dispose que « la loi ne dispose que pour l'avenir ; elle n'a point d'effet rétroactif ».
Dans le cadre des actions en justice liées au recouvrement de créances par un fonds commun de titrisation, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de se prononcer sur l’applicabilité des textes nouveaux aux instances en cours, notamment dans un arrêt du 17 avril 2019[1], dans lequel la Cour de cassation avait confirmé que le seul mandat de représentation légale était insuffisant pour la société de gestion d'agir en défense des intérêts d'un fonds commun de titrisation dès lors que la société de gestion n'avait pas été désignée en tant que gestionnaire et recouvreur des créances. Cette décision reposait sur le fait qu’au moment de l’action en paiement intentée directement par la société de gestion du fonds à l’encontre du débiteur en juin 2013, l'article L. 214-172 du Code monétaire et financier ne prévoyait pas (encore) que la société de gestion d’un fonds commun de titrisation puisse assurer directement le recouvrement des créances, cette modification n’ayant été apportée qu’à compter de janvier 2018 par l'ordonnance n° 2017-1432 du 4 octobre 2017.
Une décision bienvenue et fondée
Pour autant, dans sa décision du 10 septembre 2025, la Cour de cassation, suivant en cela une jurisprudence bien établie, a pu considérer que « la loi nouvelle régit les effets légaux des situations juridiques ayant pris naissance avant son entrée en vigueur et non définitivement réalisées ». Ainsi, la Cour de cassation confirme que les dispositions d’une loi nouvelle peuvent s'appliquer immédiatement aux instances en cours, à condition que la situation en question soit en cours de constitution ou d'effets au moment où la loi nouvelle entre en vigueur.
Il convient toutefois de noter que les lois nouvelles, même déclarées applicables aux instances en cours, ne sont pas applicables pour la première fois devant la Cour de cassation.
La Cour de cassation confirme donc que les dispositions nouvelles de l'article L. 214-172 du Code monétaire et financier permettant de notifier le changement de recouvreur "par tout moyen, y compris par acte judiciaire ou extrajudiciaire" étaient donc applicables à l’instance en cours.
De ce fait, la Cour de cassation reconnaît que l'assignation délivrée au débiteur aux fins de recouvrement en janvier 2019, en tant qu’acte judiciaire, informait bien le débiteur que le recouvrement des créances était assuré par la société de gestion représentant le fonds commun de titrisation.
Cette décision juridiquement fondée a été saluée par la pratique. Une question demeure toutefois : depuis la loi Pacte, l'article L. 214-172 du Code monétaire et financier prévoit désormais la possibilité que les actions en justice liées au recouvrement de créances cédées à un fonds commun de titrisation puissent être intentées directement, pour le compte du fonds commun de titrisation, par l'entité en charge du recouvrement des créances lorsque cette entité s'est vu confier au préalable par la société de gestion du fonds commun de titrisation un mandat de gestion et de recouvrement des créances cédées au fonds commun de titrisation. La faculté offerte par cet article permet-elle à l'entité en charge du recouvrement des créances de bénéficier de ces dispositions dans les actions anciennes formées avant mai 2019 et de représenter seule le fonds commun de titrisation ?
[1] Cass. Com. 17 avril 2019 n° 18-11.964.